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ELGRECO
EL LOCO?
PAR EMMANUEL DAYDÉ
QUALIFIÉ DE «MÉPRISABLE ET RIDICULE» APRÈS SA MORT, GRECO
A PRIS SA REVANCHE AU XX
E
SIÈCLE EN DEVENANT L’IDOLE DES
MODERNES, DE PICASSO À EISENSTEIN.
«Tout au long de sa vie mystérieuse, ses amis ont cru
voir peindre un fou», écrivait
Paris Match
en 1966 en
consacrant sa une à Greco. Voilà qui donne bien à rire
à Guillaume Kientz, commissaire de la rétrospective
parisienne : «Selon de nombreuses théories, souvent
farfelues, on a fait de lui un fou, tantôt hérétique,
tantôt mystique, et certains même l’ont imaginé
astigmate, écrit-il en ouverture de l’exposition. La
vérité est moins romanesque… Sa fréquentation
des cercles humanistes lui a permis d’accéder à
la société érudite de son temps. » Mais en quoi cet
humanisme du peintre d’icônes crétois Domínikos
Theotokópoulos – promu en El Greco, mi-italien, mi-
espagnol – explique-t-il l’incroyable nouveauté de sa
peinture, le défi que ce cantique spirituel lance à son
temps, la solitude de nuit délicieuse et de musique
silencieuse qu’il transmet à l’avenir ? Quand on sait
que
Théotokos
signifie «mère de Dieu» en grec, on
comprendmieux l’attachement viscéral du dénommé
Theotokópoulos à la figure de saint Luc peignant la
Vierge, qu’il réalise
alla greca
dans ses jeunes années
et
alla italiana
plus tard, en se donnant cette fois-ci
les traits du saint…
Les seules réponses à la nuit obscure de l’enfermé de
Tolède se trouvent dans l’art de ceux qui l’ont suivi,
à la façon d’un prophète disparu. La peinture espa-
gnole du Siècle d’Or en tout premier lieu, que cet
orthodoxe converti au catholicisme fonde littérale-
ment. Imagine-t-on la touche brouillée de Vélasquez
pour son
Portrait d’Innocent X
sans les zébrures
d’orage de Greco pour son inquiétant
Portrait du
Grand Inquisiteur, le Cardinal Fernando Niño de
Guevara
– qui paraît ausculter avec sévérité son inter-
locuteur derrière ses lunettes, à la manière des Papes
hurlants de Bacon ? Et tant pis si Pacheco, le beau-
père de Vélasquez, ne comprend déjà plus cet art par
Domínikos Theotokópoulos, dit El Greco.
Portrait du cardinal Niño de Guevara.
Vers 1600, huile sur toile, 171 × 108 cm.
The Metropolitan Museum of Art, New York.
EL GRECO
