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ACTUALITÉS
Au premier regard, tout semble oppo-
ser les esthétiques propres à Rodin et
Giacometti. Pour preuve, la confronta-
tion de leurs deux figures iconiques de
L’Homme qui marche
. Celle réalisée par
Rodin en 1907, corps sans tête ni bras
tiré du
Saint Jean-Baptiste
, affecte le
naturalisme lorsque celle sculptée par
Giacometti en 1960 est une silhouette
étirée à l’extrême aux pieds surdimen-
sionnés. C’est que Catherine Chevillot et
Catherine Grenier, respectivement direc-
trices du musée Rodin et de la Fondation
Giacometti, ont souhaité créer un rappro-
chement entre ces icônes de la modernité,
non pas comme Giacometti s’inspirant
directement de la manière de Rodin mais
comme une généalogie possible quant
à des questions de sculptures similaires.
GIACOMETTI
DANS LES PAS DE RODIN…
Bien sûr, Giacometti a manifesté son inté-
rêt pour l’œuvre de son prédécesseur à
plusieurs reprises, y compris en assistant
en juillet 1939 à l’inauguration publique du
Monument à Balzac
de Rodin. On le voit
aussi s’immisçant parmi les
Bourgeois de
Calais
lors d’une visite en 1950 du parc de
sculptures du fondeur Rudier, également
fondeur de Rodin – image immortalisée
par Patricia Matisse qu’on retrouve dans
l’exposition en regard du chef-d’œuvre.
Surtout, il a suivi l’enseignement de
Bourdelle à la Grande Chaumière, lui-
même élève et assistant de Rodin – et
on regrette d’ailleurs l’absence d’œuvres
de Bourdelle à Gianadda, dont la dénatu-
ration anatomique eut pu constituer un
pont salutaire entre le naturalisme tourné
vers le mouvement sensible de l’un et l’ex-
pressionnisme de l’autre. Articulée autour
d’une dizaine de thématiques, l’exposition
établit plusieurs parallèles saisissants
entre leurs expérimentations respectives.
La question du socle par exemple qui,
chez Rodin et Giacometti, n’est pas seule-
ment une base, mais fait partie intégrante
de l’œuvre, celle d’un modelé vigoureux,
grumeleux, laissant paraître le travail de la
glaise, ou de la réintégration des accidents
de matière dans leur processus créatif. Les
deux se retrouvent également dans une
insoumission à l’académisme comme dans
leur réinterprétation libre des maîtres
qui les précèdent : on sait que Rodin fut
considéré comme le premier à remettre
en cause les canons de la statuaire,
ouvrant ainsi la voie de la modernité. En
clôture d’exposition, un Giacometti age-
nouillé, les bras sur les jambes, fait face à
Rodin, Giacometti
. Fondation Pierre Gianadda, Martigny (Suisse).
Du 27 juin au 24 novembre 2019
un Rodin dont seul le visage incliné vers
le bas s’extrait de la pierre. Baignées de
lumière dans une salle obscure, les deux
traduisent la concentration méditative de
leur créateur, autant qu’elles renvoient à la
solitude typique du romantisme de Rodin,
et de l’existentialisme souvent prêté à
Giacometti.
Emma Noyant
Après avoir présenté les œuvres de Rodin en 1984 et celles de Giacometti en 1986, la Fondation Gianadda
réunit les deux artistes à travers un corpus de 130 sculptures, dessins et photographies…
Auguste Rodin.
L’Homme qui marche, grand modèle.
1907, plâtre, 219 x 160 x 73,5 cm. Musée Rodin, Paris.
Alberto Giacometti.
Homme qui marche II.
1960, plâtre, 188,5 x 29,1 x 111,2 cm. Fondation Giacometti, Paris.