82
justifier ce capharnaüm à la Piranèse? La res-
tructuration des espaces, elle aussi, présente
des incohérences : lieux perdus, recoins inu-
tiles, semblants de marches dangereuses. Sans
parler de ces portes sans poignées ni amortis-
seurs hydrauliques claquant à chaque nouvel
arrivant qui ne sont, fort heureusement, pas
installées partout ! Ni de cette modernité tiède,
celle en vogue depuis Orsay, sans la fougue de
Gae Aulenti, cela va sans dire, cette débauche de
bois blonds, de cimaises lourdement plâtrées,
ces éclairages à prétention design, tubes de
verre opaque portés par des filins métalliques
qui empêchent très concrètement d’observer
certains tableaux…
Et le parcours, lui aussi, pèche… Au point que les
agents d’accueil vous recommandent expres-
sément de vous munir d’un plan sous peine
de vous perdre ! Mais cela aussi importe peu,
je me suis laissé entraîner, voguant de salle
en salle, contemplant certaines œuvres que
j’attendais, en découvrant d’autres avec un plai-
sir certain : la surprise de cette salle Pompon,
ce bestiaire de lignes qui appellent le toucher,
ces bronzes animaliers de Frémiet au charme
fin, ce Chintreuil mat, un peu ennuyeux quand
même, mais dont la palette moussue paraît
si typique du paysage au naturel de ces cam-
pagnes françaises, ce Charles Errard surtout,
Énée et Anchise
, aux accords francs qui sont ni
du Poussin, ni de Blanchard, ni de Vouet, ou ce
Banquet d’Énée
dont l’attribution à Le Brun ne
paraît pas évidente… Cependant, l’accrochage
reste incompréhensible ; certaines salles
enfilent les œuvres peu séduisantes sans y
adjoindre une œuvre plus forte et des incohé-
rences font qu’il ne peut convaincre le spécia-
liste ni non plus éclairer le néophyte. La critique
reste effectivement aisée et délaisse nombre de
paramètres que je ne peux entrevoir pourtant.
Pourquoi cette
Antoinette de Fontette
, quoique
choisie dans le catalogue officiel, cette ronde-
bosse star de la sculpture de la Renaissance
bourguignonne, se trouve-t-elle reléguée dans
cet espace qui n’est pas complètement utile
pour le service, sous les toits, esseulée, collée à
un mur ? Pourquoi ces trois tableaux de Restout
et Carle van Loo (dont le
Saint Georges
dans cette
peinture grise que lui reproche Diderot m’a paru
d’une finesse coloriste rare) perdus en sortant
de la salle des tombeaux ducaux ? Pourquoi
ce vide de l’ancienne salle des sculptures ?
Pourquoi ce Tissot, si mal présenté sous un pla-
fond si bas ? Cette
Vanité
de Tal Coat et autres
formats moyens (Francis Gruber, un
Calvaire
très touchant, Jacques-Émile Blanche, l’
Entraî-
nement de Rugby
, sombre, séduisant) sous ces
hauts plafonds ? Cet accrochage peu convain-
cant, déroutant, laissant le sentiment de n’être
pas abouti, enlève pourtant peu au charme d’une
collection vraiment intéressante et qui, si elle
n’exposait que
L’Amiral de Coligny en impose à
ses assassins
de Joseph Benoît Suvée, ce grand
spectacle préromantique par le rival heureux de
David au Prix de Rome de 1771, vaudrait quand
même le détour.
Joseph-Benoît Suvée.
L’Amiral de Coligny en impose à ses assassins.
1787, huile sur toile, 324 x 260 cm.
Musée des Beaux-Arts, Dijon.
Vue de la salle réaliste,
musée des Beaux-Arts, Dijon.