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DOSSIER
ARTISTES EN SCÈNES
LE MONDE
EST UNE SCÈNE
Moses und Aron
d’Arnold Schönberg,
mise en scène de Romeo Castellucci.
Opéra national de Paris, 2015.
PAR EMMANUEL DAYDÉ
S’IL EST VRAI QUE « LE MONDE ENTIER
EST UN THÉÂTRE » COMME LE PRÉTEND
SHAKESPEARE, LES ARTS VISUELS NE
PEUVENT DÉCIDÉMENT PLUS FAIRE L’ÉCO-
NOMIE DES ARTS DE LA SCÈNE, ENVAHIS
EN MÊME TEMPS PAR DES ARTISTES DE
GÉNÉRATIONS AUSSI DIFFÉRENTES QUE LE
METTEUR EN SCÈNE ROMEO CASTELLUCCI,
LE METTEUR EN ESPACE AURÉLIEN BORY
OU LE CHORÉGRAPHE PLASTIQUE ERIC
MINH CUONG CASTAING. EH BIEN ! DANSEZ
MAINTENANT?
CASTELLUCCI, LA CHAIR ET LE SANG
Ayant mis l’ensemble des possibilités techniques
du spectacle vivant au service d’une tragédie pour
aujourd’hui, le moine-soldat Romeo Castellucci a
donné vie depuis longtemps à un théâtre de l’irré-
parable intense. La somptuosité de l’équipement
visuel et sonore des spectacles de la Societas Raffaello
Sanzio, qu’il crée avec sa sœur philosophe Claudia
Castellucci et Clara Guidi en 1981, s’appuie tout autant
sur l’artisanat théâtral que sur les nouvelles techno-
logies. Refusant la parole ou inventant une langue
universelle (la Generalissima), opposant l’humanité à
l’animalité (en introduisant sur scènemoutons, chèvres
et babouins pour
La Discesa di Inanna
ou un taureau
blanc pour
Moïse et Aaron
), separtageant entre actions
rhétoriques dans des lieux non théâtraux et mises en
scène plastiques de grands textes, la Societas invente
une dramaturgie visuelle qui plonge le spectateur dans
l’effroi, le sublime, lemonstrueux et lemagnifique. S’il
assure avoir été «trouvé»par le théâtre – la forme d’art
la plus primitive selon lui, qui «naît le jour même où
meurt le dernier dieu» –, Castellucci vient à n’en pas
L’an dernier, à la Biennale de Venise, le lion d’or attribué
à Anne Imhof pour le Pavillon allemand a été contesté
par certains, au motif que les liturgies transcorporelles
de son installation performative relèveraient plus des
arts de la scène que des arts plastiques proprement dits.
« L’art ne vient pas coucher dans les lits qu’on a faits
pour lui », avait pourtant prévenu Dubuffet.