Art Absolument 80 - Novembre/Décembre 2017 - Aperçu - page 21

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LE CARAVAGESQUE SÉRÉNISSIME
Nicolas Régnier (1588-1667), l’homme libre.
Musée d’arts de Nantes. Du 1
er
décembre 2017 au 11 mars 2018
Commissaires scientifiques : Annick Lemoine et Adeline Collange-Perugi
NICOLAS RÉGNIER,
La révolution
al naturale
initiée par Caravage
fascine; nous, comme tous ceux qui virent sa
naissance, son renforcement puis sa dispa-
rition sans nécessairement comprendre que
toutes ses métamorphoses la consolident.
On ne pouvait éternellement peindre des
prostituées repêchées et des larrons en
fureur ! En voilà pourtant bien assez pour
expliquer l’éclipse de Nicolas Régnier ;
enfin réparée par une première exposition
monographique depuis sa disparition en
1667 ! Victimes d’un oubli spontané, si on
excepte les témoignages des contempo-
rains de son cercle, sesœuvresmarquantes
passent aussitôt sous l’attribution des stars
inextinguibles du genre. Il faut donc attendre
Hermann Voss en 1924 pour que son souve-
nir resurgisse. Encore est-il suspect : son
œuvre serait inégale ; strictement séparée
entre un caravagisme pur, bon et romain,
mi-partie entre une admiration pratiquant
un plagiat difficilement défini et l’applica-
tion de la
Manfrediana Methodus
, puis une
phase de décadence vénitienne, mêlant
retour aux éclairages diurnes et activité de
lucre artistique. Là encore, il n’en fallut pas
moins pour que le XX
e
siècle s’écoule avant
qu’Annick Lemoine ne nous redonne à voir
ce maître toujours exact dans sa recherche
Longtemps considéré comme un épigone corrompu du Caravage, Nicolas
Régnier accomplit la carrière type de nombre de peintres de l’école, tiraillé
entre objectivité et idéalisme ; une redécouverte riche, soignée, complexe, au
musée de Nantes jusque mars.
PAR VINCENT QUÉAU
de suavité et de douceur. Alors, du Caravage
on aimera retrouver en Régnier la lumière
théâtrale, l’âpreté de touche qui transforme
les matières – plumes, taffetas, bure – en
gestes du pinceau, une androgynie qui n’est
plus maladive, des natures mortes à domi-
nante rouge ; de Manfredi cette manière
de relire le maître en gros plan ; surtout
la construction d’une œuvre discrètement
marginale, gourmande de beauté tous azi-
muts. Les Carrache, Guido Reni, bientôt
Titien, Bassano, Véronèse ; autant de cita-
tions très heureusement parsemées dans
une peinture de synthèse solide et aisée,
polymorphe et aguichante.
Un accostage
dans la lagune
Malgré l’inconnue de sa date de naissance,
placée aux alentours de 1588, Régnier quitte
Maubeuge en proie à l’endémique rivalité
entre Rois de France et Habsbourg pour
entrer à Anvers dans l’atelier d’Abraham
Janssens, principal antagoniste de Rubens,
romaniste des derniers feux et maître
d’une génération qu’il engoue de Rome :
Seghers, Rombouts, Ducamps, Storms.
À leur exemple, Régnier arrive dans une
capitale pontificale encore commotionnée
par les leçons du Caravage sept ans à peine
MUSÉE D’ARTS DE NANTES
Allégorie de la Vanité
.
Vers 1626, huile sur toile, 173 x 140 cm.
Staatsgalerie, Stuttgart.
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