Art Absolument 72 - Juillet/Août 2016 - Aperçu - page 17

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Par Tom Laurent
Les destins cousus
de l’art tunisien
« Lorsqu’un jour le peuple veut vivre,
force est pour le destin de répondre. »
En concluant en 1987 l’Humat Al-Hima,
l’hymne national tunisien, par l’ajout de
ces vers du poète Abou el Kacem Chebbi
en 1933, le tout jeune régime de Ben Ali
n’entendait pas encore sa reprise comme
mot d’ordre d’une révolution qui le mettrait
à bas quelques vingt-quatre années plus
tard. Cinq ans après le printemps de Tunis,
le pays doit pourtant toujours faire avec l’in-
certitude de son destin. Et les artistes réin-
venter leur rôle, après les manifestations
collectives des débuts et une année 2015
marquée par trois attentats – dont celui du
Bardo, le plus riche musée du continent
après celui des collections égyptiennes du
Caire –, en renouant avec l’histoire de leur
pays ou en instruisant le quotidien comme
procès de cette histoire.
En déclarant que leurs œuvres «ne chan-
geront pas le cours de l’histoire, mais, par
leur existence même, donnent une raison
d’être à la lutte», les membres du collectif
Politiques
revendiquaient dès 2012, comme
une grande partie de la jeunesse tuni-
sienne, la sortie des logiques partisanes.
Face au pouvoir, hybrider les objets à leur
portée leur apparaît le moyen de troubler
ses représentations – et ses représen-
tants – établies. Dans « la fêlure entre les
choses et les images», Ismaël, la plume du
collectif, veut trouver un espace où faire feu
de la tension que vivent les artistes. Et à
l’heure où la statue équestre de Bourguiba
vient de retrouver sa place à l’entrée de
l’avenue principal de Tunis – 29 ans après
son déboulonnage par Ben Ali –, les pho-
tographies de cadres évidés du portrait du
Raiis
prises en 2012 par Fakhri El Ghezal
montrent encore cette situation d’entre-
deux et, a posteriori, que la place n’est pas
laissée vacante longtemps. Ce même El
Ghezal qui, comme la plupart des Tunisiens
de la côte, «ne connaissait Redeyef que de
réputation », s’est rendu dans ce grand
bassin minier de phosphates, largement
paupérisé, de 2012 à 2015 à l’invitation
de SIWA, une organisation culturelle, Il
en a tiré un album sous forme de road
trip documentant sa rencontre avec cette
« autre Tunisie ». Atef Maatallah, lui aussi
un temps actif dans
Politiques
, y a réalisé
en 2014 une série de fresques au contact
de la population : des figures d’anonymes
ou de proches, déposées dans l’espace
flottant des revers écrus de ses toiles –
car il n’osait à ses débuts pas «gaspiller »
de matériel – ont trouvé sur les murs de
Redeyef un espace « à occuper, a squat-
ter…» Maatallah, personnage aussi solaire
et lévitant que ceux qui traversent ses com-
positions, serait le peintre des marges au
même titre que Nidhal Chamekh est celui
d’une autopsie des fragments de la société
tunisienne. Répondant à ces personnifica-
tions, les céramiques d’Ymène Chetouane
offrent l’image d’une population générique,
où le poids de la structure a pris le dessus
sur l’individualité. Hommes et femmes
Photographie par Fakhri El Ghezal d’une fresque
d’Atef Maatallah réalisée à Redeyef, 2014.
Héla Ammar.
Frappe-éclair
.
2016, machine à écrire, punaises, fil rouge, 40 x 40 x 20 cm.
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