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Images de l’altérité
Les œuvres sont connues de tous, ceux qui les regardent le
sont moins. Le nom de Victor Stoichita est davantage familier
aux amateurs français depuis ses conférences en 2014 à la
Chaire du Louvre. Enseignant à Fribourg, ce Roumain d’origine
né en 1949, passé par Rome, Paris et Munich, a tout d’un poly-
glotte : son passage d’une langue à l’autre exprime bien son
appétence à lire les images selon plusieurs cultures. Avec
Le
Dernier Carnaval – Goya, Sade et le Monde à l’enver
s, l’auteur
analyse les représentations des temps révolutionnaires à tra-
vers la figure du renversement.
C’est un questionnement quotidien. Comment l’altérité a été repré-
sentée, hiérarchisée, dans l’idéal de beauté de la Renaissance ;
comment se forme une sensibilité nouvelle avec l’arrivée de gens
« autres » : ce sont des thèmes qui nous permettent de réfléchir sur
notre monde », s’explique Victor Stoichita. Sa réflexion à ce propos ne
se limite pas à la Renaissance. Dans
L’Image de l’Autre : Noirs, Juifs,
Musulmans et «Gitans» dans l’art occidental des Temps modernes
et
dans sa continuité
L’Effet Sherlock Holmes. Variations du regard de
Manet à Hitchcock
, l’auteur relie l’histoire de l’altération du regard
à celle de la reconnaissance de l’Autre.
Le Dernier Carnaval
est donc
une longue méditation sur le passage du XVIII
e
au XIX
e
siècle, ébranlé
par la Révolution française. Il voit dans le renversement symbolique
qu’est le Carnaval le double imaginaire de la Révolution. Temps de
permissivité absolu, tous les repères sociaux s’y évanouissent, et
la morale laisse place à une libération des pulsions individuelles et
collectives. Stoichita prend l’exemple du Carnaval de Rome, décrit
en son temps par Madame de Staël et Goethe, que l’époque voit
succomber : la Révolution en se concrétisant transforme le Carnaval
en spectacle et signe sa fin. Cette issue donne, pour l’auteur, nais-
sance à la modernité à travers les derniers motifs carnavalesques,
qu’il retrouve subsistant chez Goya et Sade, auxquels il consacre
de nombreuses pages. Goya et ses gravures grotesques exhibent le
basculement des rôles sexuels établis et travestit la représentation
de l’homme et de son corps. Chez Sade, c’est la pensée chrétienne en
lutte contre le vice qui offre son contraire, avec la figure de Justine
et de ses illustrations. Cette imagination d’un « Autre » reste donc
au cœur des préoccupations de l’éminent chercheur, épaulé ici par
le regard d’Anna Maria Coderch.
ÉLG
Le Dernier Carnaval – Goya, Sade et le Monde à l’envers.
Victor I. Stoichita et Anna Maria Coderch.
Hazan – 29 €
BIGNAN (56)
ENTRÉE LIBRE ET GRATUITE
Rodney Graham,
Stanley Park Cedar
, Vancouver, n°5, 1991, Coll. Frac Bretagne © Rodney Graham. Courtesy Galerie Philip Nelson
