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page
12
(
artabsolument
)
no 5 • été 2003
“Je me suis juré de mourir en peignant.”
Cézanne achevait le portrait de mon père.
J’assistais aux séances. L’atelier était vide. Seuls
le chevalet, la petite table à couleurs, la chaise où
s’asseyait mon père, et le poêle le meublaient.
Cézanne travaillait debout… Des toiles, en tas,
contre le soubassement, dans un coin. Une douce
lumière égale et que bleutait le reflet des murs.
Sur une étagère de bois blanc, deux ou trois
plâtres et des livres. Lorsque j’arrivais, Cézanne
allait chercher un vieux fauteuil déjà à moitié
dépaillé qui traînait dans la chambre à côté.
Mon père fumait sa pipe. Nous causions.
La plupart du temps, quoiqu’il eût ses brosses et sa
palette enmain, Cézanne regardait le visage demon
père, le scrutait. Il ne peignait pas. De loin en loin, un
coup tremblotant de pinceau, une mince touche
appuyée, un vif trait bleu qui cernait une expression,
dégageait, affirmait un coin fugitif de caractère…
C’était le lendemain que je retrouvais, sur la toile,
le travail de pénétration accompli la veille.
Ce jour-là, un après-midi de fin d’hiver, l’air sentait le
printemps autour du Jas. Le ciel mielleux s’appuyait
aux vitrages. Cézanne ouvrit un des châssis.
Cézanne :
– Tu n’auras pas froid, Henri ?… Le restouble sent
l’amandier… Il fait bon…Mais, sacrédié! il faut que je
referme…Ces sacrés reflets…Un rien, savez-vous…
La peinture à l’huile
C’est bien difficile,
Mais c’est bien plus beau
Que la peinture à l’eau…
Mon père :
–Tuchantes?…C’estqueçamarchebienaujourd’hui…
Cézanne :
– Pas mal… Ça ne te rase pas, à la fin, de poser…
Écoute, ce n’est pas pour dire, mais tume rends un
fier service… Tu as une assiette…
Mon père,
plaisantant
:
– Extraordinaire.
Cézanne,
se tournant vers moi
:
– Une assiette morale, que je lui envie… Il ne se fait
pas de bile, votre père… Jamais… Je voudrais
rendre ça, trouver les tons, la justesse de ton qui
Admirateur du dernier Cézanne, le poète aixois Joachim Gasquet a 23 ans lorsqu’il rencontre le
peintre déjà fort âgé, dans son atelier, en portraitiste, en admirateur de certains chefs-d’œuvre
du passé, en fou de peinture et en “primitif d’un art nouveau”. De son livre
Cézanne
, publié en
1921 aux éditions Bernhein-Jeune,
(art absolument)
a extrait le dernier chapitre où l’on voit
l’artiste aux prises avec son modèle qui n’est autre que le propre père de l’auteur.
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Domaine public
L’atelier de Cézanne
Joachim Gasquet
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