PhilippePiguet
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Dans sa
Nouvelle Histoire de
la photographie
publiée en 1994,
Michel Frizot observe que la difficulté
d’élaborer celle-ci “tient d’abord à la
suprématie du modèle de l’histoire de
l’art, et plus spécifiquement de l’histoire
de la peinture”. Votre démarche de
photographe semble se déterminer
quant à elle par rapport à la nature
même de la photographie, appréhendée
dans son étymologie duelle d’écriture
et de lumière. Qu’est-ce qui fait pour
vous la spécificité de la photographie ?
Patrick Bailly-Maître-Grand
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Aujourd’hui, si l’on
me défiait de trouver un nouveau nom,
plus contemporain, pour remplacer celui
de “photographie”, je crois que j’utili-
serais le néologisme de “constatœil”.
Cela mettrait en évidence la dualité
entre un mécanisme froid, d’une part,
et un organe humain complexe et mys-
térieux, de l’autre.
Pour Cartier-Bresson, photographier
c’est aligner le sujet avec le viseur et le
cerveau. En fait, la photographie –
puisqu’il faut bien la nommer ainsi –
écrit bien avec de la lumière mais
n’écrit que si on lui en donne l’ordre et
le sens. C’est un “nègre” qui tape les
mots de votre roman imagé, rien de
plus. La photographie ne voit rien par
elle-même, elle est tout sauf objective.
Dit-on d’un crayon qu’il est objectif ?
Patrick Bailly-Maître-Grand,
Curiosités & Merveilles
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Photographie
Pourquoi la trace d’une boîte noire avec un bout de
verre serait-elle “la” preuve tangible de notre monde
extérieur ? Disons simplement que photographier,
c’est s’amuser à trouver une magique équivalence
entre le dessin gravé sur le ticket de cette boîte noire
et ce que nous voyons par nous-mêmes.
PP
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Vous mettez en œuvre dans votre travail différents
types de protocoles techniques qui en appellent
à des procédés de révélation de l’image plus oumoins
élaborés. La “magique équivalence en question”
relève-t-elle des processus eux-mêmes ou de leur
savante manipulation?
PBMG
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Comprenons-nous bien : le dessin sur le ticket
photographique est une trace créée par un outil dont
nous sommes les manipulateurs. Connaître l’outil et
donc le maîtriser, c’est savoir, à l’avance, quelle sera
sa trace si nous faisons tel geste. En quelque sorte, la
photographie est un cheval sauvage, mais nous en
tenons les rênes. À quoi nous servirait un cheval qui
irait où il veut ? Mes “protocoles techniques” ou mes
“savantes manipulations”, comme vous les appelez,
Entretien avec Philippe Piguet
La photographie est un art neuf au regard d’autres moyens d’expression comme la
peinture ou la sculpture. C’est dire si, par-delà une histoire qui a connu toutes sortes
d’aventures, elle reste un terrain idéal à l’investigation et à la projection de l’imagi-
naire. L’art de Patrick Bailly-Maître-Grand en est une éclatante illustration dans cette
souveraine qualité d’invention plastique qui conjugue curiosités et merveilles.
Rencontre avec un maître magicien de la révélation.
Galerie Baudoin Lebon, Paris. Du 6 mai au 15 juin.
Galerie Lucien Schweitzer, Luxembourg. Du 13 mai au 30 juin.
| ACTU |
Ci-contre :
De la série
Les poussières d’eau.
1994. Épreuve au chlorobromure d’argent
avec virage et colorations, 60 x 50 cm.
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