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Éditorial
L’État et l’art contemporain (suite)
L’art naît toujours d’une situation donnée. Il surgit
toujours d’un contexte collectif. D’un moment histo-
rique précis. Mais il n’est réellement de l’art que s’il
parvient à s’incarner dans des œuvres qui sont à la
fois le reflet de ce moment et l’expression d’un
point
de vue
qui excède celui-ci. Il n’est de l’art que si, bien
que né dans un contexte, issu de lui, il en symbolise
ce que ce dernier peut receler de singulier et
d’universel, sinon, comment pourrions-nous trouver
un quelconque intérêt à voir encore aujourd’hui Paolo
Uccello, le Greco, Rembrandt, Courbet ou Malevitch,
sans parler des œuvres issues de civilisations fort
éloignées de la nôtre. Les œuvres d’art, produites par
l’histoire des sociétés et des civilisations, s’en éman-
cipent en créant les formes symboliques qui n’en
sont pas seulement le témoignage mais ce qui – par
l’entremise de biographies spécifiques – particu-
lières – est parvenu à nous donner pour toujours une
nouvelle manière de voir, de sentir, d’être ému, de
penser, d’imaginer ou de percevoir l’infini qui
n’existait pas avant elle.
Dans les sociétés libres et démocratiques que sont
les nations modernes, il n’y a pas d’art sans révolte ni
engagement individuel. Révolte contre la mort inéluc-
table et le fait de n’être que ce que nous sommes,
conscience de l’imperfection dumonde et de la capacité
de l’homme à commettre le pire, critique du réel à
cause de ce qu’il est et de ce qui lui manque, lutte
perpétuelle contre l’arbitraire et l’injustice, la souffrance
et le mal, désir d’une vie qui soit à la fois plus libre et
plus intense, plus affirmative et plus belle. Quête
incessante de l’être à donner du sens à ce qui peut-
être n’en a pas, à moins que ce ne soit précisément
cette incertitude – ce doute quant à la nécessité de
notre présence sur Terre – qui confère à chacun
d’entre nous l’obligation de créer un sens qui soit
valide pour lui et pour autrui et qui, de fait, apporte la
preuve irréfutable que
l’homo sapiens
n’est pas seu-
lement l’extrême pointe de l’évolution animale mais
un esprit qui toujours cherche à se délivrer.
Dans les sociétés libres et démocratiques qui sont les
nôtres, que ce soient dans la vie collective ou dans
celle des individus, dans la création vivante ou dans
l’art, il n’y a pas de dogme ou de doctrine à suivre une
fois pour toutes – il n’y a pas de vérité unique – il n’y a
pas une vérité qui serait bonne et les autres mau-
vaises – mais une multiplicité de réponses à la fois
spécifiques et particulières, des points de vue singu-
liers – de la
différence.
Dans la société française, sous la V
e
République (dont
il n’est peut-être pas inutile de rappeler l’article 1
er
de la Constitution : “La France est une République
indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle
assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans
distinction d’origine, de race ou de religion. Elle res-
pecte toutes les croyances. Son organisation est
décentralisée.”), au cœur des idéaux de la société fran-
çaise – dans la vision idéalisée qu’elle a d’elle-même –,
Le pari de la diversité
«… Il n’est de l’art que si, bien que né dans
un contexte, issu de lui, il en symbolise ce
que ce dernier peut receler de singulier et
d’universel…»
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(
artabsolument
)
• no 23 • hiver 2007/08
Suite à son dossier du numéro 22 où la revue Art Absolument s’est fait l’écho de la pétition
L’art c’est
la vie
qui, en substance, dénonce « la politique de l’État en matière d’art contemporain depuis une
vingtaine d’années», celle-ci a organisé une journée/débat sur
L’État et l’art contemporain / l’état
de l’art contemporain
au théâtre du Rond-Point, à Paris, le 28 novembre dernier.
Les lecteurs pourront trouver l’intégrale des interventions sur le site de France-Culture et sur celui de
la chaîne Arte (liens sur
.
En outre, elle publie, ici, l’intervention de son rédacteur en chef.