Kâlidâsa et le Beau idéal
Dominée par un art d’une grâce et d’une
virtuosité exceptionnelles, l’époque
gupta vit également l’épanouissement
des belles-lettres, et le seul nom du
poète et dramaturge Kâlidâsa suffit à
incarner l’âme et le génie de cet âge d’or,
où la culture de cour alliait raffinement,
élégance et beauté. Unanimement
considéré comme le plus prestigieux
des poètes indiens, le “prince des
poètes” par excellence, Kâlidâsa aurait
peut-être vécu à Ujjayinî, sous le règne
de l’empereur gupta Chandragupta II
(375-415). Si l’on sait peu de choses de
sa vie comme de sa personnalité, ses
œuvres empreintes de sensibilité, de
noblesse et d’élégance morale laissent
deviner, comme en filigrane, l’image
d’un observateur attentif et subtil de
l’âme humaine – et tout particulière-
ment de la psyché féminine –, d’un
admirateur inspiré de la Nature
dépeinte dans toute son éblouissante
beauté, ainsi que d’un connaisseur
averti desusageset de l’étiquettede la vie
de cour. Kâlidâsa est l’auteur de poèmes
épiques (
La naissance de Kumâra, La
lignée de Raghu
), de poèmes lyriques
et élégiaques (
Le nuage messager
), de
drames et de pièces de théâtre
(
Malavikâ et Agnimitra, Urvashî conquise
par la vaillance
et, surtout,
Shakuntalâ
au signe de reconnaissance
– cette der-
nière pièce étant considérée comme le
chef-d’œuvre du théâtre indien et un
pur joyau de la littérature sanskrite).
Artistes incomparables cherchant à
donner forme au Beau idéal, les sculp-
teurs et les peintres de l’époque gupta
>
Domaine public
s’emploieront à traduire en termes plastiques et
esthétiques certaines des images ciselées de main
de maître par Kâlidâsa – et leurs œuvres apparais-
sent parfois comme l’écho lointain ou le reflet à peine
transposé des métaphores et des analogies du grand
poète de l’Inde classique. Ses vers harmonieux et
subtils recèlent, en effet, les clés de tout un réper-
toire métaphorique et déclinent en autant d’images
hautement évocatrices, telles les perles d’un collier
savamment assemblées, les divers éléments consti-
tutifs de la Beauté idéale – laquelle est ici essentiel-
lement féminine. Avec une veine intarissable, le
prestigieux poète convoque tout le vaste spectre de la
Nature et, afin de dépeindre au plus juste la beauté ou
la grâce de ses héroïnes, en appelle aux fleurs écla-
tantes, aux fruits pulpeux, aux lianes gorgées de
sève, aux cours d’eau ondoyants et jusqu’aux corps
célestes ! Et ce faisant, de métaphores en correspon-
dances, Kâlidâsa façonne en véritable orfèvre le vrai
visage de la Beauté – une Beauté parfaite en tant
qu’elle est idéale.
« Je reconnais dans la liane ton corps ; ton regard
dans les yeux de la gazelle craintive ; la beauté de ton
visage dans celui de la lune ; ta chevelure dans le plu-
mage pesant des paons et, dans les rives légères des
cours d’eau, le jeu de tes sourcils : hélas ! Amie timide,
à lui seul aucun objet ne suffit à te ressembler. »
[
Le nuage messager (Meghadûta)
; trad. R.H. Assier
de Pompignan, Paris, Les Belles Lettres, 1938].
De même, dans un passage célèbre de
La naissance
de Kumâra
(
Kumârasambhava
), Kâlidâsa illustre à la
perfection cette définition du Beau idéal, où les
formes empruntées à la Nature sont idéalement
codifiées et érigées en canons esthétiques. Le poète
y chante la naissance d’Umâ, fille de l’Himâlaya et de
lanympheMenâet épousepromisepar les dieux àShiva.
Là encore, par l’usage répété de riches métaphores
La naissance de Kumâra
Texte de Kâlidâsa, présentation par Amina Okada, commissaire
de l’exposition et conservateur en chef au musée des Arts asiatiques – Guimet
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