Alexandra Fau
|
Certaines de vos photogra-
phies portent des stigmates, des salis-
sures, des griffures ou des éraflures qui
leur confèrent un supplément d’âme.
Sarah Moon
|
J’ai utilisé pendant très long-
temps des polaroids négatifs pour le
repérage. Quand je ne les développais
pas tout de suite, des accidents nais-
saient sur la surface. Ils donnaient
l’impression de quelque chose
d’encore plus fragile. Mais je ne voulais
pas que ces éraflures se systématisent
pour devenir une signature. C’est pour-
quoi j’ai arrêté d’en faire. Maintenant, je
me sers encore du polaroid mais il y a
beaucoup moins d’accidents. Quand il y
en a et qu’ils tombent bien, je les laisse.
Même si les accidents suggèrent la dis-
parition, ils ne doivent pas prendre le
dessus. La forme ne doit pas envahir le
fond. La photographie incarne de toute
façon la disparition. Elle capte un ins-
tant qui ne reviendra plus. C’est pour
cela que je recherche l’éphémère en
même temps que je le fige.
AF
|
Avec ces accidents, la photographie
s’apparente à une surface qui aurait
enregistré les souvenirs mais aussi le
vieillissement du temps.
SM
|
C’est exactement cela. D’ailleurs en
italien,
pellicula
signifie “petite peau”.
C’est une surface sensible qui tout d’un
coup se détériore. En dépit de tous les
efforts de conservation, elle reste aussi
éphémère que l’instant du cliché. Que
Les matériologies de Sarah Moon
>
Photographie
cet instant soit dénaturé au moment où je le saisis,
qu’il porte déjà en soi la marque de sa fin, sont
quelques-unes des raisons pour lesquelles j’ai tou-
jours laissé les accidents sur le négatif du polaroid.
AF
|
Les polaroids négatifs que vous utilisiez ne se
fabriquent plus. Comment envisagez-vous votre travail
à venir ?
SM
|
Tout au long de ma carrière, j’ai été confrontée à la
disparition des choses. J’ai dû m’approprier de nou-
veaux outils (la vidéo, le numérique) que je n’aimais
pas. Mais il y a toujours un bien pour unmal, car on ne
peut pas répéter indifféremment la même forme.
C’est en se réappropriant les nouveaux matériaux
que l’on trouve de nouvelles directions. La mémoire,
elle, ne change pas.
AF
|
Le polaroid reste malgré tout votre outil de prédi-
lection.
SM
|
Oui, j’adore le format. D’ailleurs, si les fabricants
ne font plus de films, je travaillerai avec un format
plus carré que le 24 x 36.
J’ai beaucoup joué avec le bord du polaroid qui était
un peu
destroy
. Cet entourage donnait l’impression
d’arracher au réel.
AF
|
Dans vos travaux, l’évanescence de l’image, son
délitement, s’opère sous nos yeux à une vitesse accé-
lérée. Le vieillissement artificiel dû aux accidents de
surface et au sépia donnent à la photographie une
patine qui semble être d’un autre temps.
Entretien avec Alexandra Fau
>
Pour la photographe, chaque prise de vue n’incarne pas seulement un instant éphémère :
elle porte en soi la marque de sa disparition.
D’avril à mai 2007
La Sirène d’Auberville
Dans le cadre de la Biennale de Moscou
| ACTU |
Ci-contre :
La robe froissée.
2000.
1...,2,3,4,5,6,7,8,9,10,11 13,14,15,16,17,18,19,20