Quelque cinquante ans après avoir ouvert la voie à la Nouvelle Vague du cinéma
français, Agnès Varda, bon pied mais surtout bon œil, a fait son entrée dans le monde
de l’art versant vidéo. Fortes d’un mélange de mélancolie et de bonne humeur, à l’image
même de leur auteur, ses œuvres sont d’une étonnante puissance d’expression.
L’“artiste cinéaste” – comme il lui plaît de se qualifier – y cultive références culturelles,
signes archétypaux et sentiments partagés. À l’émotion et au ressenti, l’art d’Agnès Varda
est requis par l’humain. Attentive aux autres, gourmande de souvenirs, impatiente de s’en
fabriquer sans cesse, elle témoigne du souci d’être toujours dans le présent. Rencontre.
Agnés Varda et l’art contemporain
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Installation
PP
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Si ce sont là des films expérimentaux, ils restent
des films à part entière. Ils ne vous ont pas pour autant
conduit à faire figure de vidéaste. Qu’est-ce qui a donc
opéré en tant que déclencheur de ce nouveau statut tel
qu’en témoignait, par exemple, l’exposition que vous
avez faite à la fondation Cartier l’été dernier?
AV
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À cela, il y a un responsable, c’est Hans Ulrich
Obrist qui a créé le groupe
Utopia Station
et qui m’a
invitée à intervenir à la biennale de Venise en 2003. Je
me suis rendue compte alors à quel point j’attendais
cela. C’était prêt dans ma tête à cause de ces patates
en forme de cœur apparues quand j’ai tourné
Les gla-
neurs et la glaneuse
et
Deux ans après.
Je les avais
gardées, regardées et puis filmées. Elles vieillis-
saient, se ratatinaient et regermaient. J’étais émer-
veillée et émue par le sens et la symbolique basique,
certes, mais très forte. Elles continuaient à faire des
radicelles, elles continuaient à vivre tout simplement.
Quand la proposition pour Venise m’a été faite, j’ai
imaginé trois écrans pour mes patates sublimes.
C’est ainsi qu’est née l’installation
Patatutopia…
PP
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Et vous êtes entrée ainsi dans le monde de l’art !
Dans la foulée, vous avez présenté chez Martine
Aboucaya, lors de l’ouverture inaugurale de sa gale-
rie en 2005,
Le triptyque de Noirmoutier
et
Les
veuves de Noirmoutier,
qui ont connu un succès
immédiat. Ce sont là des œuvres vidéo qui en
Phillipe Piguet
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Vous êtes connue comme
une cinéaste. Voilà que depuis plusieurs
années vous vous êtes fait reconnaître
comme une artiste vidéaste. Comment
cela est-il arrivé ?
Agnès Varda
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Comme dans tous les cas, par
suite d’un mélange de désir et de
moyens techniques auquel il faut bien
ajouter un peu de chance, tout cela se
mettant en place en même temps. J’ai
souvent dit que j’étais une “artiste
cinéaste”mais ce n’est pas une notion du
milieu cinéma. Pourtant, certains de
mes films – ceux que l’on connaît le
moins – ont été créés comme ceux des
artistes reconnus comme tels, dans les
années vingt ou les années soixante. Pas
à l’esbroufe, à l’inspiration. Il y a
L’Opéra-
Mouffe
, par exemple, en 1958, sur la rue
Mouffetard et ses miséreux. Je filmais
toute seule avec une petite caméra
16 mm. J’avais des émotions de femme
enceinte. Il y a
Documenteur
, tourné en
1981 à Los Angeles, un film d’ombre et
de peine qui raconte l’histoire d’une
mère et de son fils, en exil, qui cherchent
à se loger. Il y a
Sept pièces, cuisine, salle
de bain
, en 1984 – ça s’écrit en abrégé
comme une annonce immobilière. Un
désir
immédiat
en
découvrant
l’exposition
Le vivant et
l’artificiel
qu’avait organisée Louis Bec à Avignon
et dont je me suis servie tout autant
comme prétexte que comme motif,
matière et décor. J’ai filmé comme on
rêvasse.
Entretien avec Philippe Piguet
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Varda tous courts,
double DVD
des courts-métrages d’Agnès Varda
dans la collection DVD Ciné-Tamaris.
Sortie prévue début avril.
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