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artabsolument
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• no 20 • printemps 2007
ne crée le monde qu’après. Les Gupta étaient de
confession vishnuite. Ce dieu fut donc particulièrement
important à leur époque. Sur les monnaies royales
apparaît fréquemment un emblème correspondant à
un attribut de Vishnu ou à sa monture. Les divinités
hindoues ont une iconographie complexe : outre une
apparence physique hors norme, elles possèdent des
attributs particuliers et un “véhicule”, ou monture,
qui se présente le plus souvent sous les traits d’un
animal symbolisant certaines de leurs qualités. Le
véhicule de Vishnu est un être hybride, mi-homme
mi-oiseau rapace, qu’on appelle Garuda. En raison de
la foi personnelle des monarques, cet oiseau
mythique est devenu l’emblème de la dynastie gupta.
AA
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Le bouddhisme est-il déjà important ?
TZ
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Le bouddhisme est également important à cette
époque. En fait, le bouddhisme fut important en Inde
dès son apparition, aux alentours du V
e
siècle avant
notre ère, jusqu’au XII
e
siècle après J.-C., avec des
foyers plus particulièrement actifs dans certaines
régions. Sous les Gupta, si le bouddhisme reste une
religion très importante c’est en raison de l’esprit de
tolérance qui régnait à cette époque. Il faut souligner
que les mécènes, quels qu’ils soient – membres de la
cour, guildes de marchands ou hauts dignitaires –
étaient totalement libres d’apporter leur soutien à la
religion qu’ils pratiquaient. Le bouddhisme a donc
connu des jours exceptionnels sous la dynastie gupta,
notamment en matière artistique, au travers de deux
écoles de sculpture à Mathurâ et à Sârnâth, des-
quelles sont issues les plus belles représentations de
Buddha de tout l’art asiatique.
AA
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Que pouvons-nous dire au sujet de ces deux écoles
très prestigieuses de sculpture qui sont alors liées
aux temples de Mathurâ et de Sârnâth?
TZ
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Mathurâ est un site qui s’est progressivement
révélé, au fil des découvertes archéologiques. Occupé
au moins depuis l’époque protohistorique, probable-
ment dès le VIII
e
siècle avant notre ère, Mathurâ se
situe sur la Yamunâ, l’affluent principal du Gange. La
ville s’est développée au fil des siècles et n’a jamais
cessé d’être active et dynamique. C’était à la fois un
centre de commerce et un centre religieux. La ville a
vu se succéder toutes les époques de l’histoire
indienne. Ses différents états se sont superposés
leur maître. Divers témoignages épigraphiques – des
inscriptions – montrent bien que les rois gupta – du
moins certains d’entre eux – ont procédé à d’impor-
tantes conquêtes territoriales. Si certains souverains
de domaines voisins ont pu s’opposer à eux, d’autres,
et non des moindres, ont été leurs alliés. On sait par
exemple que des liens étroits ont existé entre les
Gupta et les Vâkâtaka, lesquels régnaient sur un
important royaume correspondant grossièrement à
l’actuel État du Mahârâshtra. Le site bouddhique
excavé d’Ajantâ (deuxième moitié du V
e
siècle, début
du VI
e
siècle), célèbre pour ses peintures murales, se
trouvait d’ailleurs au cœur de ce royaume.
Pourquoi parler d’apogée culturelle à l’époque
gupta ? D’abord parce que c’est une période qui
consacre tout ce qui s’était mis en place depuis
l’Antiquité en Inde, en matière de littérature, de
sciences, de religion surtout. C’est l’époque où les
formes des divinités de l’hindouisme se fixent,
deviennent canoniques ; des traités sont rédigés, qui
précisent très exactement l’apparence des dieux et la
symbolique qui s’attache à eux comme à tout ce qui
les entoure. Les
Purâna
, par exemple, formalisent
une mythologie qui s’était formée au fil des siècles
antérieurs et dont les grandes lignes ne varieront
plus beaucoup par la suite.
AA
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De quelle religion s’agit-il ?
TZ
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De l’hindouisme. Cette religion met l’accent sur
deux grands dieux : Shiva et Vishnu. Dans
l’hindouisme, le créateur – qu’il s’agisse de Shiva ou de
Vishnu, puisque ces divinités sont un peu les chefs de
file des deux principaux courants sectaires hindous –
est à l’origine de toutes choses. C’est vers ce dieu que
tout être, au cours de ses existences successives, tend.
L’idée du salut pour les Hindous, c’est celle de l’âme
qui, d’existence en existence, se purifie jusqu’à se
réabsorber dans l’âme originelle et supérieure du dieu
créateur, quel que soit le nom qui lui est donné : Shiva,
Vishnu ou autre, car les courants sectaires se sont
multipliés au fil des siècles. De fait, le dieu vénéré par
les adeptes de divinités théoriquement mineures dans
l’hindouisme est, pour eux, le dieu suprême.
AA
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Et le dieu Brahmâ ?
TZ
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Brahmâ est un cas particulier. Il est certes très
important dans son rôle d’aïeul des mondes. On le
considère comme le créateur, mais un créateur qui
œuvre à l’instigation d’une divinité qui lui est en prin-
cipe supérieure. Dans l’un des mythes les plus
importants du vishnuisme, Brahmâ naît de Vishnu et
>
Ci-contre :
Vishnu.
V
e
siècle, grès rouge, 107 x 47 x 17 cm.
Jaisinghpura, Mathurâ, Uttar Pradesh, Government Museum, Mathurâ.