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artabsolument
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• no 20 • printemps 2007
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Éditorial
L’art qui, sociologiquement, après sans doute la faillite
des récits révolutionnaires et le regard toujours
nécessairement critique sur les dogmes religieux, est
devenu, en ce début de XXI
e
siècle, l’un des pôles –
pour ne pas dire le pôle – de symbolisation individuelle
et collective de notre civilisation. Jamais autant de
personnes n’ont fréquenté les musées, jamais les
grandes expositions n’ont emporté un si vif succès.
L’on ne peut que s’en réjouir. D’autant que la France
est devenue non seulement la première destination
touristique mondiale mais l’un des deux ou trois pays
où sont proposés le plus grand nombre de musées ou
de lieux d’expositions consacrés à l’art (des autres
civilisations, classique, moderne ou contemporain).
Cela a un coût. Sans la complémentarité de l’argent
public (l’État, les régions, les départements, les
villes) et privé (celui des mécènes et des sponsors), il
serait évidemment impossible de générer un si grand
nombre de lieux ni, au su des coûts de transports et
d’assurances, monter de prestigieuses expositions.
Or, dans “l’affaire d’Abou Dhabi” (rappelons que les
autorités des Émirats Arabes Unis viennent de signer
un accord avec l’État français pour la concession d’un
musée estampillé Louvre où, moyennant 1 milliard
d’euros, seront montrés – lors d’expositions tempo-
raires faites en partenariat avec des conservateurs
compétents – quelques-uns des chefs-d’œuvre de
l’art universel que détient “le plus grand musée du
monde”), certains s’émeuvent des liens entre l’art et
l’argent en dénonçant une mainmise de celui-ci sur
celui-là en arguant du fait que « sur le plan moral,
l’utilisation commerciale et médiatique des chefs-
d’œuvre du patrimoine national, fondements de
l’histoire de notre culture et que la République se doit
de montrer et de préserver pour les générations
futures, ne peut que choquer ».
L’art, l’argent, le rayonnement de la France, la gratuité
La questionmérite débat. Non pas que le rayonnement
de l’art majeur et la reconnaissance internationale de
la “marque” France en matière de culture ne soient
une excellente nouvelle. Nous ne sommes pas perfor-
mants en tout, et rêver d’un monde où circuleraient
librement, pas uniquement les biens de consommation,
mais aussi les hommes et les œuvres de l’art et de
l’esprit nous semble parfaitement légitime ! Mais il
faut – bien entendu – se prémunir d’une dérive pos-
sible (la ligne blanche à ne pas franchir serait la vente
d’œuvres appartenant à un musée, mais apparem-
ment nul ne met en doute le fait que toutes les
œuvres considérées comme faisant partie du patri-
moine de notre pays soient inaliénables). Il faut aussi
que chacun y trouve son compte. Notons, tout
d’abord, que l‘on ne peut que saluer l’initiative des
Émirats Arabes Unis de vouloir instaurer un pôle cul-
turel “universel” au Moyen-Orient : un festival de
cinéma placé sous le signe de la tolérance et du dia-
logue des cultures en présence de Richard Gere et
d’Oliver Stone a eu lieu à Dubaï en décembre dernier ;
outre un musée estampillé Louvre, un musée
Guggenheim, un troisième consacré aux arts de
l’Islam, et un complexe culturel où auront lieu des
projections de films et des représentations théâ-
trales sont prévus ; les organisateurs de la foire
Art Paris
réunissant une quarantaine de galeries
françaises et internationales viennent de signer la
tenue de leur manifestation à Abou Dhabi, etc.
Notons également que, d’après la promesse réitérée
du ministre de la Culture, la somme perçue par cet
accord sera principalement reversée aux musées
concernés pour être entre autres consacrée à la res-
tauration d’œuvres d’art – dont quelques-unes sont
«… sous le signe de la tolérance
et du dialogue des cultures…»
«… instaurer la gratuité d’entrée
pour les collections permanentes
de tous les musées en France…»