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Pourrais-tu me parler de tes influences?
Je ne sais pas ce que le terme «influence» signi-
fie concrètement car, en réalité, c’est après avoir
réalisé mes œuvres que je constate des simili-
tudes avec d’autres artistes. Par contre, si tu
me posais la question : «Quels sont les artistes
que tu adores ?», je pourrai citer entre autres :
Richard Deacon qui m’a beaucoup parlé lorsque
j’étais à Valenciennes. Ou Thomas Schütte, vu
récemment à la Monnaie de Paris. J’ai aussi
découvert David Hammons, artiste américain,
qui fait des performances ou des « réactions» –
que je trouve époustouflantes – dans l’espace.
Mais à peu près tout m’influence, les discus-
sions, toi lorsque je te parle, les choses que l’on
se dit et que je peux noter après.
Pourrais-tume parler plus précisément de ton
travail de sculpteur? De ta manière de travail-
ler la matière?
Sculpteur, oui, mais artiste avant tout. Mon tra-
vail n’est pas fixé sur la matière-volume. Il y a
la matière-deux-dimensions et celle presque
inexistante : les performances, les «réactions»
dans l’espace… Concernant la sculpture, j’es-
saye de voir différemment ce qui est physique,
de voir ce qui est au-delà – la métaphysique,
peut-être –, et de privilégier une approche spi-
rituelle. Dans mon travail, je me laisse aller en
effectuant un va-et-vient avec les matériaux et
les outils. L’idée n’est donc pas de créer mais
de communiquer avec eux. Je ne choisis pas
tant la matière, on se choisit et je suis parfois la
matière de la matière.
J’aimerais revenir sur une de tes œuvres que
je connais bien, très appréciée du jury du Prix
Dauphine 2017. Je parle de la performance
Twenty-eight minutes inside
(2018) que tu as
produite avec ta sculpture
J’ai gardé le réflexe
(2018). Peux-tu me parler de leur conception
et de leur signification?
J’ai commencé par faire des dessins, dans
un bloc-notes, des contours de pays que je
visitais (Togo, Ghana, Côte d’Ivoire, France,
Allemagne…) ou que j’envisageais de visiter
(États-Unis, Chine…). J’ai donc refait les dessins
sur du papier calque, papiers que je superpo-
sais. Après avoir répété ce geste, j’ai commencé
à en garder le réflexe. Ces dessins, je les ai faits
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DÉCOUVRIR
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Makouvia Kokou Ferdinand
KLIDJABADJABA !
Makouvia Kokou Ferdinand. KLIDJABADJABA
Galerie Sator, Paris. Du 6 avril au 11 mai 2019
Biova, membre du parlement.
2018, ceramique, tabouret en bois, 73 x 50 x 30 cm.
Courtesy de l’artiste et galerie Sator, Paris.
ENTRETIEN AVEC CHRIS CYRILLE
Tout commencerait par l’opacité d’un mot :
KLIDJABADJABA
. Ce terme provient-il de la
langue mina ? d’un conte ? Doit-il être parlé ou
hurlé ? Est-il l’équivalent d’« abracadabra » ? Selon
l’artiste, sculpteur et performeur Makouvia Kokou
Ferdinand, il serait intraduisible – car ne voulant
rien dire de connaissable. Et cette formule –
titre de sa première exposition personnelle à la
galerie Sator – résume à elle seule le travail de
Ferdinand. Rencontré lors du Prix Dauphine 2017,
j’ai eu l’occasion de travailler avec lui et d’observer
l’éclat d’une œuvre riche qui résiste au cerclage
des discours. Dialogue avec un ami.
CHRIS CYRILLE
Tu es né au Togo, à Lomé, puis
après une première licence d’arts plastiques
en Côte d’Ivoire, tu pars aux Beaux-Arts de
Valenciennes. Tu es actuellement aux Beaux-
Arts de Paris. Parle-moi de cette longue route :
Togo-Côte d’Ivoire-Valenciennes-Paris.
MAKOUVIA KOKOU FERDINAND
Oui. La « base » a com-
mencé au Togo où j’ai fait l’« école de rue » de
Lomé, où j’allais dans les ateliers d’artistes ou
de professeurs que je connaissais. Avec la petite
jeunesse de Lomé qui voulait faire de l’art, on se
retrouvait et organisait de petitesmanifestations.
J’ai ensuite décidé de continuer aux Beaux-Arts
d’Abidjan, en Côte d’Ivoire, car je voulais savoir
ce qu’il se passait sur le plan national et interna-
tional. À la suite d’un concours, je suis allé aux
Beaux-Arts de Valenciennes car je ne trouvais
pas tout ce que je voulais en Côte d’Ivoire. J’ai
ensuite été accepté aux Beaux-Arts de Paris et
c’était… un bonheur (sourire).