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          Entretien avec François Jeune
        
        
          Christian Bonnefoi
        
        
          «La peinture a son origine
        
        
          pour horizon.»
        
        
          Christian Bonnefoi est un peintre singulier dans la constitution d’une surface non donnée à
        
        
          l’avance. Ses premières séries,
        
        
          Euréka
        
        
          ou
        
        
          Babel
        
        
          , colonne vertébrale du diagramme de son œuvre,
        
        
          mettent en place un processus pictural à la fois très simple et complexe, par des procédés
        
        
          de pochoirs inversés, collage, feuilletage et stratification. Avec ses
        
        
          Bi-faces
        
        
          présentés dans
        
        
          l’exposition de préfiguration du Centre d’art des Tanneries d’Amilly, Bonnefoi,
        
        
          semper virens
        
        
          ,
        
        
          propose une surface transparente qui rend visible le dos de la peinture. Entre
        
        
          La Stratégie du
        
        
          tableau
        
        
          qu’il développait dans les années 1980 et ses extensions actuelles – transparences
        
        
          picturales et collages muraux –, paradoxe ou continuité ?
        
        
          FrançoisJeune |
        
        
          
            Un geste récurrent d’entrelacs
          
        
        
          
            forme la matrice graphique constante de
          
        
        
          
            tes peintures et collages ; autant un geste
          
        
        
          
            de projection que d’altération à la Bataille.
          
        
        
          
            Plus qu’aux lacis suspendus au-dessus
          
        
        
          
            de la toile de Pollock ou aux tracés tour-
          
        
        
          
            billonnants de Cy Twombly, ces graffitis
          
        
        
          
            circulaires des premiers traits du dessin
          
        
        
          
            d’enfant – langue universelle – évoquent
          
        
        
          
            aussi un des corpus de l’art préhisto-
          
        
        
          
            rique – dessin universel de nos origines –
          
        
        
          
            comme on les trouve au plafond dans la
          
        
        
          
            grotte du Pech Merle ; tracés digitaux en
          
        
        
          
            forme demacaronis où se trouvent comme
          
        
        
          
            pris au filet quelques figures de Vénus.
          
        
        
          
            Ces graffitis circulaires, qui lancent un
          
        
        
          
            filet avec chaque geste de ta peinture dans
          
        
        
          
            une sorte d’«archéologie inversée», ont-
          
        
        
          
            ils une fonction unique ou diversifiée?
          
        
        
          ChristianBonnefoi|
        
        
          Je retiens d’abord lemot «alté-
        
        
          ration», que j’avais utilisé pour l’invitation
        
        
          de ma première exposition personnelle,
        
        
          en 1977, galerie Rolf Ricke à Cologne : «La
        
        
          peinture procède par l’altération de ses
        
        
          moyens. » Cela était à peu près contempo-
        
        
          rain d’un texte majeur pour ma génération
        
        
          universitaire, la
        
        
          
            Grammatologie
          
        
        
          de Derrida.
        
        
          Mais il ne s’agissait pas de ce qui s’annonçait
        
        
          déjà, de «déconstruction», mais de ce que
        
        
          j’ai nommé « division de la division » dans
        
        
          mon entretien à Macula en 1977 : à savoir
        
        
          
            Eureka VIII.
          
        
        
          2013-2016, acrylique sur toile nylon, 250 x 200 cm.
        
        
          que ce qui s’avance comme une forme laisse
        
        
          en arrière, comme la traînée de poussière
        
        
          de Bip Bip, l’invisible (cf. le dessin animé de
        
        
          
            Bip Bip et le Coyote
          
        
        
          , ce que l’art du Nouveau-
        
        
          Mexique a fait de mieux) «vitesse en route
        
        
          vers une cible », l’amas merveilleux d’un
        
        
          résidu d’image qui n’a pas de logis, et qui,
        
        
          faute de lieu (de mieux?), vagabonde, hors-
        
        
          saisie, dans l’espace imaginaire qui, du
        
        
          coup, pourrait bien être l’espace authen-
        
        
          tique. Par authentique, j’entends ce que dit
        
        
          Benjamin de Van Gogh : « il peignait l’aura
        
        
          authentique », c’est-à-dire que « aura » et
        
        
          « inscription » sont indissociables, que le
        
        
          passage par la construction d’un objet est
        
        
          la condition sine qua non. Quant aux lacis,
        
        
          à l’entrelacs, ils sont d’abord liés dans ma
        
        
          mémoire au premier dessin que j’ai vu en
        
        
          tant que dessin, bien avant de penser même
        
        
          à peindre, et qui est
        
        
          
            Promenade d’une ligne
          
        
        
          de Klee. L’association de cette chose abs-
        
        
          traite qu’est une ligne, domaine de la géo-
        
        
          métrie, au mouvement qui, plus encore,
        
        
          est un vagabondage ouvert au hasard, aux
        
        
          rencontres, aux accidents a sans doute
        
        
          constitué un fonds imaginaire sur lequel
        
        
          j’ai développé ces aventures de lignes à la
        
        
          fois comme modalités d’explorations et
        
        
          d’analyse des «éléments non mimétiques
        
        
          de la peinture » (suivant Meyer Schapiro,
        
        
          article fondamental à l’époque) et comme
        
        
          modalités formelles proprement dites. Ce
        
        
          travail sur les lignes est l’objet de la série
        
        
          
            Babel
          
        
        
          que j’ai commencée en 1978 et que