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          Entretien avec Pascal Amel
        
        
          Pascal Blanchard
        
        
          «Nous vivons un temps postcolonial…
        
        
          et nous l’ignorons!»
        
        
          Malaise dans la civilisation : que voulons-nous pour l’Europe en général et la France en particu-
        
        
          lier ? Des régimes autoritaires dont l’Histoire du XX
        
        
          e
        
        
          siècle prouve qu’une fois au pouvoir, leur
        
        
          arbitraire n’a plus de limites ? Des régimes basés sur la rationalité et traitant simultanément des
        
        
          conflits extérieurs, de la sécurité intérieure, de l’éthique des grand médias dans leur traitement
        
        
          des attentats, d’un « plan Marshall » pour les banlieues, d’une reconnaissance des talents issus
        
        
          des minorités visibles, etc. Nous sommes à un tournant crucial du devenir de notre société, d’où
        
        
          la nécessité absolue d’analyser lucidement les causes et les problématiques en jeu. Pascal
        
        
          Blanchard (et quelques autres auteurs), dans son dernier opus
        
        
          Vers la guerre des identités ?
        
        
          aux
        
        
          éditions de La Découverte, propose une grille de lecture extrêmement stimulante. Rencontre.
        
        
          Pascal Amel |
        
        
          
            Quelle fut la représentation –
          
        
        
          
            d’un point de vue racial, économique,
          
        
        
          
            culturel, symbolique, «exotique»… – des
          
        
        
          
            « indigènes » des colonies de la France ?
          
        
        
          
            Quels furent les points d’orgue de cet
          
        
        
          
            imaginaire?
          
        
        
          Pascal Blanchard |
        
        
          Alors que l’immigration «exo-
        
        
          tique» n’a pas encore commencé en France,
        
        
          les Français découvrent pour la première
        
        
          fois enmétropole, à partir des années 1870,
        
        
          des « indigènes », un terme « non-juri-
        
        
          dique » qui désigne alors l’ensemble des
        
        
          peuples considérés par l’Europe comme
        
        
          « colonisables », et
        
        
          
            de facto
          
        
        
          « inférieurs »
        
        
          juridiquement. Ils sont exhibés dans des
        
        
          spectacles ethnographiques ou des villages
        
        
          coloniaux dans les grandes expositions offi-
        
        
          cielles ou privées. Ce que l’on appellera
        
        
          plus tard des «zoos humains» va constituer
        
        
          le premier point d’orgue de cette image de
        
        
          l’« exotique » colonisé et celui-ci est alors
        
        
          réduit à l’image du «sauvage».
        
        
          Ces manifestations se multiplient au
        
        
          tournant du siècle et connaîtront un
        
        
          large succès jusqu’au milieu des années
        
        
          1920 avec les fameux « villages noirs »,
        
        
          « nègres », ou « sénégalais » qui vont être
        
        
          présentés dans plus de 80 villes françaises.
        
        
          Une hiérarchisation des « races » relayée
        
        
          par la presse de l’époque, les romans
        
        
          populaires, mais aussi les cartes pos-
        
        
          tales ou les affiches coloniales, et qui va
        
        
          s’imposer pas à pas dans les imaginaires
        
        
          du temps. Des images, codées à l’extrême,
        
        
          mettent en scène colonisateur et colonisé.
        
        
          Les visages en gros plan des personnages
        
        
          noirs, par exemple, insistent sur les sté-
        
        
          réotypes raciaux et accentuent l’altérité.
        
        
          Les caractéristiques physiques, caricatu-
        
        
          rées, sont associées à l’idée d’infériorité,
        
        
          soulignée par le langage « petit nègre »,
        
        
          signe « évident » de l’incapacité des Noirs
        
        
          à assimiler la culture française. Pour les
        
        
          Maghrébins, les images mettent en avant
        
        
          le «nez sémite», le visage en partie caché,
        
        
          l’aspect « fourbe» ou l’érotisme des «mau-
        
        
          resques» offertes au regard des colonisa-
        
        
          teurs. L’Asiatique est toujours représenté
        
        
          en «masse grouillante », mais également
        
        
          à travers une culture (qu’illustre le temple
        
        
          d’Angkor Vat), susceptible de danger et
        
        
          de révolte, et que la France a su « domi-
        
        
          ner ». L’Antillais, le Polynésien ou le
        
        
          Kanak occupent des espaces figuratifs aux
        
        
          marges, et occupent chacun des espaces
        
        
          dédiés : l’assimilé mais folklorique, le figu-
        
        
          rant du paradis ou le sauvage cannibale.
        
        
          Tous ces éléments constituent des récur-
        
        
          rences fortes. On les retrouve tout au long
        
        
          de l’histoire coloniale, mais ils se fixent au
        
        
          cours de ces années fondatrices.
        
        
          Un second point d’orgue s’affirme aumilieu
        
        
          de l’entre-deux-guerres. La publicité à
        
        
          cette époque prolonge ce regard et s’af-
        
        
          firme comme le miroir de l’évolution des
        
        
          archétypes sur les populations colonisées.
        
        
          Après la vision racialiste de la période de
        
        
          Omar Victor Diop.
        
        
          
            Jean-Baptiste Belley
          
        
        
          , série
        
        
          
            Diaspora.
          
        
        
          2014, impression jet d’encre pigmentaire sur papier Harman
        
        
          By Hahnemuhle, édition de 8 ex + 2 AP, 120 x 80 cm.
        
        
          Courtesy galerie MAGNIN-A, Paris.
        
        
          
            Àvoir
          
        
        
          Jacques Chirac
        
        
          ou le dialogue
        
        
          des cultures
        
        
          Musée du Quai
        
        
          Branly, Paris
        
        
          Du 21 juin au
        
        
          9 octobre 2016
        
        
          Zoos Humains.
        
        
          L’invention
        
        
          du sauvage
        
        
          La Cité
        
        
          Miroir, Liège
        
        
          Du 17 septembre
        
        
          au 23 décembre 2016