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            Portrait de l’artiste en costume oriental.
          
        
        
          1631-1633, huile sur bois, 63 x 52 cm. Petit Palais, Paris.
        
        
          
            Rembrandt intime
          
        
        
          Musée Jacquemart-André, Paris
        
        
          Du 16 septembre 2016 au 23 janvier 2017
        
        
          Commissariat : Emmanuel Starcky, Peter Schatborn et Pierre Curie
        
        
          Par Vincent Quéau
        
        
          l’autre légende dorée
        
        
          Rembrandt,
        
        
          Malgré la fuite en avant d’une modernité souvent amnésique, Rembrandt conti-
        
        
          nue d’incarner ce summum de la création du XVII
        
        
          e
        
        
          en superstar responsable
        
        
          d’une œuvre pléthorique dans laquelle le musée Jacquemart-André a pioché
        
        
          moult merveilles pour que notre automne resplendisse.
        
        
          Ultime génie du Siècle d’Or s’accaparant
        
        
          le ténébrisme du Caravage, Rembrandt
        
        
          fascine toujours comme gourou d’une
        
        
          pâte fougueuse devenue optique à force
        
        
          de technique transfigurée d’un je-ne-sais-
        
        
          quoi au charme magique. Or Rembrandt,
        
        
          peintre avant d’être illusionniste, individu
        
        
          avant d’être artisan, créateur d’une moder-
        
        
          nité mieux que chef d’école, accapare
        
        
          tous ces talents généralement concédés
        
        
          aux apôtres de l’avant-garde. Et le plaisir
        
        
          reste toujours absolu de ré-admirer, au
        
        
          hasard d’un musée ou dans une exposition
        
        
          monographique, si modeste soit-elle, les
        
        
          sublimes ténèbres dumaître d’Amsterdam.
        
        
          Cette sélection judicieuse nous permet
        
        
          d’entrevoir et d’examiner l’ampleur de son
        
        
          talent multi-techniques ; elle ouvre sur
        
        
          une importante série de portraits gravés
        
        
          à l’eau-forte qui fige devant la postérité la
        
        
          physionomie de l’artiste et son entourage,
        
        
          ses parents et Saskia. Tous, images sans
        
        
          fards, à la rugosité âpre d’un burin ner-
        
        
          veux, troquent l’idéal controuvé des gra-
        
        
          veurs de la
        
        
          
            Maniera
          
        
        
          nordique, des Goltzius,
        
        
          Wtewael, Bloemaert, contre un réalisme de
        
        
          vérité, aussi acide mais délié de tout souci
        
        
          d’élégance. Et cette beauté de Rembrandt,
        
        
          cette capacité à engendrer le plaisir de l’œil
        
        
          dans les objets les plus vils, le hisse para-
        
        
          doxalement comme le portraitiste de l’âme
        
        
          vivante de ses modèles. Loin de la suavité
        
        
          de ses devanciers fameux, Holbein, Dürer
        
        
          ou Titien, il emprunte assez peu encore à
        
        
          ses contemporains ni même à la source
        
        
          anversoise. L’ambiance colorée et cha-
        
        
          toyante de deux tableau précoces, œuvres
        
        
          de ses vingt ans – une
        
        
          
            Scène historique
          
        
        
          et
        
        
          l
        
        
          
            ’Ânesse de Balaam
          
        
        
          – rappelle sans ambi-
        
        
          guïté ses années d’apprentissage auprès
        
        
          de Pieter Lastman et pourtant, même dans
        
        
          ces emprunts, la filiation semble guidée
        
        
          par une autre force, signe d’un génie déjà
        
        
          plus consommé ; comparons, pour nous en
        
        
          convaincre, types physiques, végétations
        
        
          et moirures d’une convention toute belle
        
        
          et nette chez le premier, déjà fougueuse et
        
        
          surprenante chez le jeune Rembrandt.
        
        
          Et de fait, l’année suivante, en 1627, il troque
        
        
          les jours gris de sa jeunesse contre les nuits
        
        
          intenses d’une maturité précoce. Cette
        
        
          métamorphose fulgurante s’observe dès la
        
        
          petite
        
        
          
            Fuite en Égypte
          
        
        
          du musée de Tours,
        
        
          dans cette matière triturée qui surnage
        
        
          dans les ténèbres, ces oreilles de l’âne de
        
        
          pigment et de pelage, ce chapeau de Joseph
        
        
          de paille feinte mais vraie, ces plis auxquels
        
        
          on croit, malgré leur abstraction gestuelle.
        
        
          Le virus noctambule contracté, il ne sortira
        
        
          plus de ces effets lumineux et plastiques.
        
        
          Sans doute le début de carrière offre-t-il
        
        
          toujours à différencier les textures et les
        
        
          matières et il s’en donne à cœur joie dans
        
        
          son
        
        
          
            Autoportrait au costume oriental
          
        
        
          : oppo-
        
        
          sant les glaçures des objets de métal à la
        
        
          matité du velours, au duveteux du poil du
        
        
          chien, à l’irisé de la robe lamée et brodée
        
        
          mais, àmesure que s’affirme son caractère,
        
        
          la peinture pure se détache de l’illusion.
        
        
          Devenu marque de fabrique du portrait, le
        
        
          fond indéfini, brossé à la diable, souligne les