Venise, reflet du monde
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Dossier
Vous êtes à Venise, dans cette « ville
d’Orient » toute proustienne, celle
du temps retrouvé et de « tous les
futurs du monde » que la Biennale
entreprend d’ébaucher. Dans cette
immense polyphonie de formes et de
pratiques, vous empruntez un chemin
de biais, celui d’un dialogue entre
Orient et Occident dans les plis et
déplis du monde.
Entre guerre et paix, catastrophe et progrès,
transgression et état des choses, vous vous
frayez ces passages si fragiles et chargés
de tragédie, entre Orient et Occident. Et
puis, soudainement, viennent des images
fulgurantes où le passé et le présent se
télescopent. Oui, Venise fut et est bien une
ville d’Orient, au sens fort. Dans son mythe
fondateur même, depuis ces restes de saint
Marc dérobés à Alexandrie, épisode que Le
Tintoret situe déjà sur un dallage vénitien
dans le tableau qu’il peint à partir de 1562
pour la Scuola Grande di SanMarco. Et dans
son architecture, avec sa basilique bâtie à
trois reprises, dont l’ultime version, celle
encore visible, le fut d’après l’église des
Saints-Apôtres de Constantinople. Pris dans
cet œil d’Orient, vous rêvez… d’un passé
glorieux, celui de tous les échanges écono-
miques et diplomatiques, dont témoigne le
portrait envoyé par Gentile Bellini réalisé en
1480, lors d’un séjour à Constantinople, à la
demande de Mehmet II
1
. Passé que réver-
bère cet espace d’eau fluide et cristalline,
ce rythme oriental des palais avec leurs arcs
brisés et leurs entrelacs, comme le théâtre
des surfaces qui se réfléchit dans la fasci-
nation des tableaux, des soieries, des tapis
et des verreries. On n’en finit jamais avec
Venise, sa vie grouillante et secrète.
Puis vous reprenez le chemin d’un Orient
inversé, de la Chine à la Tunisie – deux pays
où j’ai écrit et travaillé avec des artistes.
Premier monde de l’art, celui de Qiu Zhijie,
dont la célèbre photographie
Non, tu ne dois
pas
servit de couverture à cette amorce que
fut
Modernités Chinoises
2
. À l’Arsenal, il a
tapissé une salle entière avec une cartogra-
phie fictionnelle de Jinling faite de cinq rou-
leaux à l’encre, avec sa rivière en S et toutes
ses activités : médecin, moine, chevalier,
bandit…Une sorte de rivière de l’histoire, un
Samira Alikhanzadeh.
#16 Family Album
.
2008, acrylique & fragments de miroir sur tableau
imprimé, 100 x 140 cm. Courtesy de l’artiste.
