Cinéma,
mutations
et regard social
Mohamed Métalsi est commissaire associé de la manifestation
Le Maroc contem-
porain
. Urbaniste et docteur en esthétique, il est depuis 1996 directeur des actions
culturelles de l’Institut du monde arabe. Dès 1985, il a participé à la création
d’événements culturels et artistiques en France, en Europe et dans le monde
arabe. Cet expert du patrimoine auprès de l’UNESCO depuis 2010, auteur de nom-
breux livres et articles sur son pays, revient ici sur les raisons des transforma-
tions qui touchent le paysage cinématographique marocain.
Propos recueillis par Tom Laurent
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PROGRAMME CULTUREL
Tom Laurent •
Depuis une dizaine d’années, il
semble que l’on assiste à l’émergence d’un
nouveau cinémamarocain. Qu’en est-il dans
les faits ? Qu’est-ce qui différencie la pro-
duction cinématographique d’aujourd’hui
de celle de films plus anciens ? Comment
la programmation culturelle de l’Institut du
monde arabe en rend-elle compte?
MohamedMétalsi •
La production cinématogra-
phique marocaine accompagne les muta-
tions sociales, politiques et économiques
du pays. Existant depuis cinquante ans au
Maroc, le septième art est resté longtemps,
pour des raisons politiques et financières,
embryonnaire, même si certains cinéastes
ont pu réaliser des chefs-d’œuvre, tels que
Vaincre pour vivre
(1968) de Mohamed Tazi
et Ahmed Mesnaoui,
Quand mûrissent les
dattes
(1968) d’Abdelaziz Ramdani et Larbi
Bennani,
Trace
(1970) d’Hamid Bennani,
Les Mille et Une Mains
(1971) de Souheil Ben
Barka et d’autres encore. Cette génération
de cinéastes a proposé une filmographie
engagée et militante. Elle a transformé
en profondeur ce qui restait simplement
un spectacle de distraction. Par le docu-
mentaire ou la fiction, ces précurseurs ont
œuvré, avec leurs moyens techniques et
leurs qualités artistiques, à représenter le
réel d’une société verrouillée, à remettre en
cause les préjugés, les traditions oppres-
sives et l’ordre tyrannique établi. Leur écri-
ture cinématographique prônait la liberté
d’expression – quasi inexistante pendant
cette période. Par la suite, la génération
des années 1980, avec Farida Belyazid,
Nabyl Lahlou, Mustapha Derkaoui et Hassan
Benjelloun entre autres, a continué d’expri-
mer le malaise de la société marocaine,
en se conduisant autant en témoin qu’en
auteur. Tous ces créateurs demeurent
des figures emblématiques de l’histoire du
cinéma du pays.
Mais depuis une décennie environ, le Maroc
est devenu, avec l’Égypte et l’Afrique du
Sud, un des grands producteurs ciné-
matographiques des pays d’Afrique et du
monde arabe. Cette révolution ne se veut
pas seulement quantitative, elle est aussi
d’une grande qualité thématique et esthé-
tique grâce à de jeunes réalisateurs vivant
à l’étranger ou sur le sol marocain, voire les
deux. L’aide de l’État marocain et notam-
ment du Centre cinématographique maro-
cain (CCM), dirigé par Noureddine Saïl,
peut être tenue comme la raison majeure
de ce renouveau. Non seulement la produc-
tion des films a connu un développement
inouï, mais l’on a aussi assisté à la forma-
Hassan Legzouli.
Le Veau d’or.
2013, film, 87 min.
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