Programmateur à l’Institut du monde arabe et critique musical spécialisé dans les
musiques du monde – toutes les musiques –, Rabah Mezouane souligne l’effer-
vescence de la création sonore marocaine en revenant sur les temps forts de la
saison « Musique » du Maroc contemporain.
Propos recueillis par Emmanuel Daydé
Musique,
« Ici, ça bouge! »
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PROGRAMME CULTUREL
Emmanuel Daydé •
Une certaine
movida
à la
marocaine semble avoir bouleversé le
monde de la musique. Peut-on parler d’un
mouvement alternatif
Nayda
– que l’on pour-
rait traduire par «ça bouge» – au Maroc?
Rabah Mezouane •
Eh oui, ça bouge au Maroc !
Même si l’expression «Nayda» ne vaut que
pour les musiques actuelles, car elle vient
de la bouche même des jeunes qui fréquen-
taient le Festival
L’Boulevard
à Casablanca.
Même s’il n’est pas le seul, ce festival frais
émoulu, démarré avec des moyens déri-
soires par Momo et HichamBahou en 1999,
a contribué à révéler quantité de nouveaux
groupes et de nouvelles personnalités,
que ce soit dans le rap/hip-hop, le rock/
métal, la fusion ou même le reggae. Si Bob
Maghrib, le groupe qui joue Bob Marley
sur instruments traditionnels, n’a pu être
invité cette fois-ci,
L’Boulevard
a présidé à la
naissance de Hoba Hoba Spirit, de Haoussa,
de SiSimo, de Younes Taleb et que sais-je
encore ! Depuis, Hoba Hoba Spirit a été
désigné par la presse comme leader de la
nouvelle scènemarocaine. Haoussa navigue
entre langue populaire et rock dévastateur.
SiSimo pèse d’une empreinte indélébile sur
l’histoire du hip-hop en racontant des his-
toires vécues « à chaud ». Quant à Younes
Taleb, il a mis sa talentueuse plume au ser-
vice du rap, au sein du groupe Mobydick, en
analysant le Maroc d’en bas : on n’est pas
près d’oublier les punchlines ravageuses de
sa
Lmoutchou Family
.
E.D. •
Si l’on excepte un cycle consacré à la
chanson « beur » en l’an 2000, l’IMA avait
jusqu’à présent développé une program-
mation musicale plutôt tournée vers les
musiques traditionnelles. L’événement
consacré au Maroc contemporain serait-
il le signe d’une nouvelle ouverture aux
musiques actuelles ?
R.M. •
Le Royaume chérifien a longtemps été
sous la férule de deux courants musicaux
forts : la musique orientale égyptienne
et la musique arabo-andalouse. Mais ce
n’est plus tout à fait le cas. S’il demeure
un extraordinaire conservatoire, le Maroc
est aussi désormais un espace en mou-
vement constant, à la croisée de mul-
tiples influences, venues des musiques
berbères, arabo-andalouses, juives, sah-
raouies, soul, rock ou rap. Il y a toujours
eu une tradition marocaine d’ouverture et
de tolérance, longtemps matérialisée par
tout un répertoire de musiques juives. Il
faut rappeler que l’installation des juifs
au Maroc remonte à l’époque romaine et
wisigothique, avant l’arrivée de l’Islam. On
compte des tribus berbères judaïsées – ou
doit-on dire des juifs berbérisés ? – dès le
VII
e
siècle. En invitant la chorale Kinor David
à se joindre à son ensemble AbdelkrimRaïs,
Mohamed Briouel montre sa maîtrise aussi
bien dans la tradition arabo-andalouse que
dans la tradition séfarade. Afin de suivre au
plus près ce renouvellement – ce
revival
,
comme disent les Anglo-Saxons – le pré-
sident de l’IMA, Jack Lang, a donc souhaité
que la programmation « Musique » soit
élargie, afin qu’un nouveau public puisse
venir aux concerts. Moi qui ai participé à
la naissance du hip-hop et du rap fran-
çais – cette « complainte de maudits » –,
je suis bien évidemment enchanté de pou-
voir inviter des groupes très populaires
au Maroc, comme Mazagan ou Hoba Hoba
Spirit. Leur très belle musique, à l’exemple
du groupe légendaire Nass el Ghiwane, a
la particularité d’être fondée sur le patri-
moine marocain. Mazagan actualise le
folklore du pays en l’ouvrant aux musiques
du monde. Les musiciens de Hoba Hoba
Spirit – qui ne dédaignent d’ailleurs pas de
reprendre Nass el Ghiwane – déclenchent
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