Pour Maati Kabbal, écrivain, essayiste et traducteur marocain, auteur notamment
de l’ouvrage
Le Maroc en mouvement : créations contemporaines
avec Nicole de
Pontcharra, publié en 2000 (Maisonneuve & Larose), les mutations de la société
marocaine reposent en grande partie sur sa jeunesse et ses aspirations. Il pointe
ici certaines difficultés que connaît le pays, mais également les points forts qui
font la particularité du royaume.
Propos recueillis par Tom Laurent
Rencontres
et débats
Comprendre
leMaroc
d’aujourd’hui
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PROGRAMME CULTUREL
Tom Laurent •
Ces dernières années, le
Maroc semble avoir conservé une certaine
stabilité politique, en comparaison des
bouleversements que connaissent d’autres
pays arabes à l’aune de leurs révolutions.
Qu’est-ce qui selon vous explique ce qui
est communément souligné comme une
« exception marocaine » ? Quels facteurs
pourraient la remettre en cause?
Maati Kabbal :
Le Maroc a su éviter la tem-
pête de ce que l’on appelle les «Printemps
arabes ». En anticipant la demande de
la rue par l’organisation d’élections
transparentes et par des réformes de la
Constitution, le souverainmarocain a réussi
à créer un équilibre qui s’avère aujourd’hui
salvateur pour le pays, puisque le Maroc
est resté à l’abri du chaos qui s’est emparé
progressivement d’un grand nombre de
sociétés arabo-musulmanes. Cependant,
trois facteurs risquent de remettre en
cause cette « exceptionnalité » : le jiha-
disme radical, avec ses deux épigones,
AQMI et Da’Ich. Les tentatives du pouvoir
marocain pour encadrer les islamistes
« soft », tantôt par le dialogue, tantôt par
des moyens coercitifs, butent aujourd’hui
contre une nouvelle stratégie diabolique
dont l’objectif est de disputer au roi son
titre d’«émir des croyants» et de placer le
royaume sous la coupe d’un califat. Le deu-
xième facteur est d’ordre économique : la
misère. Cette dernière, trop visible, côtoie
une débauche de richesses. Les dispari-
tés sociales et économiques (relevées par
le roi lors de son discours de la fête de la
jeunesse) hypothèquent lourdement l’ave-
nir du pays. Aussi, le partage, l’équité et la
justice sociale restent parmi les priorités
et les urgences. Le troisième facteur tient
dans le pari éducatif. On ne peut qualifier
un pays d’« exceptionnel » lorsque le taux
d’analphabétisme atteint les 28 %, ce
qui représente l’équivalent de 9 millions
d’analphabètes. Certes, l’on a enregistré
une nette amélioration, puisque ce taux