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artabsolument
)
no 6 • automne 2003 page
49
“Dîtes, qu’avez-vous vu?”
Le Voyage
, Charles Baudelaire
Quand, en 1891, Gauguin part pour lesMers du sud, il a en tête un objectif
précis : s’immerger dans un monde primitif pour ressourcer son art
dans le “lait nourricier” des sociétés lointaines. Mais, une fois sur place,
il découvre une réalité bien éloignée de la Nouvelle Cythère rêvée.
Pour Gauguin commence alors la quête, hasardeuse, de l’ancienne Tahiti.
Esthétique
Paul Gauguin et le Pacifique
Magali Mélandri
Le paradis perdu
L’arrivée de Gauguin à Papeete, en août1891, coïncide avec la mort du dernier roi
tahitien, Pomare V, souverain fantôme face au pouvoir colonial français. Assistant aux
funérailles, l’artiste y voit un sombre présage dans sa quête d’un monde primitif :
“Avec lui disparaissent les derniers vestiges des habitudes et des grandeurs
anciennes. Avec lui la tradition maorie était morte.”
Pourtant, la disparition de cette culture traditionnelle avait débuté bien avant, dès les
premiers contacts avec les Européens, à la fin du XVIII
e
siècle. Les pratiques céré-
monielles tahitiennes subirent alors les interdits des missionnaires et les effigies
des divinités en bois ou en pierre furent détruites, cachées dans les grottes ou
enfouies dans les marais. Fin XIX
e
, seuls quelques objets usuels sont conservés. Au
quotidien, le tissu de coton a déjà remplacé le traditionnel tapa, étoffe d’écorce bat-
tue servant aussi d’offrande rituelle ou de cadeau de prestige mais que Gauguin uti-
lise comme support de dessin. Le musée de l’école catholique de Papeete possède
bien quelques plats
Umete
traditionnellement peu décorés, ainsi que de maigres
vestiges de l’art rituel précolonial, mais il est peu probable que Gauguin ait pu avoir
accès à ces collections
(1)
.
Ce n’est pas non plus au contact des Tahitiens de Papeete, pour la plupart accultu-
rés, ni auprès des ses compagnes comme il le prétend (dans la société traditionnelle,
les femmes ne participaient pas aux rituels sur les lieux sacrés) que Gauguin peut
recueillir des informations sérieuses sur leurs traditions. Il passe enfin à côté de
témoignages précieux comme ceux de la reine Marau Taaroa Salmon et de sa mère,
qui organisent encore des soirées de récitation de généalogies et de chants
mythiques. Les Salmon, élevés par les pasteurs protestants, sont anglophones –
Le paradis perdu
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Bambou
gravé.
Polynésie
française,
îles
Marquises.
Musée
du Quai-
Branly.
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