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page
68
(
artabsolument
)
no 6 • automne 2003
totalement subjective des couleurs. Et c’est
aussi l’idée que par ce langage, qui n’est pas
une retranscription littérale de la réalité, on
peut toucher au monde de la sensation et au
monde de l’idée. Il y a ces deux pôles chez les
Nabis qui rendent ce mouvement extrême-
ment passionnant. C’est un mouvement très
radical dans ses énoncés plastiques et en
même temps très riche intellectuellement.
C’est un mouvement qui s’inscrit dans le
contexte culturel très riche du Paris des
années 1890, où il se passe des choses si
importantes en matière de littérature, de phi-
losophie, de théâtre et de musique. Quelqu’un
comme Maurice Denis est un penseur de la
peinture et il se pose comme tel dès le départ.
Il théorise le mouvement dès 1890 avec sa
fameuse définition du “néo-traditionnisme”.
Art Absolument : Vous parliez du contexte
culturel très riche de l’époque. Que dire du
“japonisme” dans ce rapport à la bidimen-
sionnalité et à la frontalité qui est l’une des
constantes de l’art des Nabis ?
Laurence Des Cars : Le “japonisme” est une
des sources visuelles de cette redéfinition
picturale mais c’est une des sources qui court
depuis un moment déjà dans la peinture. Les
Nabis ne découvrent pas le “japonisme” mais
ils vont le faire fusionner avec d'autres
influences. Il y a ainsi une profonde dimension
décorative de la peinture nabie
où dominent les notions de
rythmes, d’arabesques, d’har-
monie de couleurs, et d’harmo-
nies parfois très audacieuses.
Cette conception est en elle-
même révolutionnaire car elle
casse la hiérarchie tradition-
nellebeaux-arts/artsdécoratifs
ou beaux-arts/arts appliqués.
Les Nabis vont être dans leurs
sources très ouverts à des
expressions artistiques qui sont
précisément fondées sur le
décloisonnement des pratiques
artistiques : le “japonisme” en
est une, la photographie, mais
on pourrait également citer le
mouvement Arts and Crafts en
Angleterre. Ces artistes ont
aussi une grande admiration pour Puvis de
Chavannes et le problème du grand décor
mural antinaturaliste. Ils se passionnent éga-
lement pour les Primitifs italiens, pour la pein-
ture du Trecento et du Quattrocento. Là encore,
cela plaide pour cet aspect très cultivé de ce
groupe d’artistes qui cherche à renouer le fil
d'une tradition décorative de la peinture. Ils
vont eux-mêmes mettre en pratique ce décloi-
sonnement des pratiques artistiques, dans un
esprit d’expérimentation caractéristique des
toutes premières années du mouvement. La
notion d’aventure collective, de collaboration
et donc de défis mutuels est alors capitale. De
ce point de vue-là, cela préfigure, en effet, cer-
taines aventures collectives artistiques du XX
e
siècle comme le Bauhaus… Cette notion qui se
met en place est au fond très neuve si l'on
songe à la tradition picturale française de l’ar-
tiste démiurge. C’est une façon totalement dif-
férente d’aborder les choses, qui est aussi le
fait de gens très jeunes puisqu'ils ont tous
autour de vingt ans.
Art Absolument : On a l’impression que les
Nabis et notamment Vuillard ont le désir d’ac-
croître l’expressivité des moyens plastiques,
qu’ils sont sensibles aux effets de la peinture
sur le spectateur. Ce faisant, ne sont-ils pas
avant tout des peintres “maniéristes” ?
Lorsque l’on voit les postures des corps, les
jeux optiques entre les silhouettes et les
L’Oie.
Vers 1890-1891,
huile sur carton,
22 x 27 cm.
Collection
particulière.
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