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Expositions
La Disparition des lucioles
Collection Lambert en Avignon, prison Sainte-Anne, Avignon
Du 17 mai au 25 novembre 2014
Par Emmanuel Daydé
Le
tombeau
des
lucioles
C’est enfermée que la liberté de l’art contemporain crie le mieux. Associée à la
collection Righi, la Collection Lambert en Avignon s’incarcère d’elle-même dans
la prison Sainte-Anne. Sous les lumières de la cour d’honneur du palais des Papes,
les feux rageurs d’une autre cour d’horreur, comme autant de lucioles scintillant
dans la nuit de l’âme.
Dans «L’article des lucioles» (sous le titre
Le Vide du pouvoir en Italie
) qu’il publie en
1975, neuf mois avant sa mort, Pier Paolo
Pasolini use d’un souvenir de jeunesse pour
théoriser « la disparition des lucioles ».
Constatant l’éradication brutale des scin-
tillants petits coléoptères qui l’enchan-
taient dans les années 1940, tués par la
pollution, le prophète enragé identifie leurs
fragiles lumières vacillantes à l’esprit du
peuple, qui aurait disparu dans un géno-
cide culturel programmé. Toute forme de
culture ayant été ravalée sous les sunlights
aveuglants du néofascisme rampant des
années 1970, la société du spectacle, telle
que l’analyse Guy Debord, a commencé de
laminer les esprits en surexposant le vide.
Cette culture polluée et mourante, l’
atta-
cante
italien (qui jouait toujours en position
d’attaquant au football) la retrouvait aupa-
ravant dans la vie violente des
raggazzi di
vita,
ces voyous au bord de la marginalité,
qui hantaient les banlieues, les zones et
les prisons de Rome, et qui ont inspiré ses
premiers films. Alors, pour retrouver ces
feux disparus dans la nuit, peut-être faut-il
aller les chercher loin du soleil des places
d’Europe, d’Italie et de Provence, dans
l’infamie et la profondeur puante des culs-
de-basse-fosse, là où la lumière ne pénètre
jamais. Comme si la seule mise en lumière
possible passait d’abord par une mise à
l’ombre. André Malraux signalait déjà ce
déplacement d’une chose infâme à une
chose fameuse qu’obtenait Michel-Ange
par le seul mouvement de l’œuvre d’art.
Sculptant le tombeau de Jules II, l’artiste
démiurge ne réussissait à transfigurer le
pape qu’en transformant les figures d’es-
claves qui l’accompagnaient au tombeau
en sujets héroïques, en musculeux lut-
teurs de marbre brisant leurs chaînes et
s’extirpant de la pierre pour le triomphe de
Douglas Gordon.
Guilty (Tattoo for Reflection)
. 1997, photographie couleur.
Collection Fonds national d’art contemporain, Paris.
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