Art Absolument N° 84 - juillet/août 2018 - Aperçu - page 31

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Sandra Hegedüs devant
une œuvre de Eko Nugroho.
Par
Clément Thibault
SANDRA HEGEDÜS, PRÉSIDENTE DE L’ASSOCIATION SAM ART PROJECTS
ET COLLECTIONNEUSE, SE LIVRE SUR SA PRATIQUE DE LA COLLECTION
ET LA VISION QU’ELLE PORTE À TRAVERS SES PROJETS.
SANDRA HEGEDÜS
LA MILITANTE
« Étrangers partout. » Un néon de
Claire Fontaine accroché dans le salon
annonce la couleur. « Je suis d’origine
hongroise, explique Sandra Hegedüs.
Je suis née et j’ai grandi au Brésil, à
São Paulo, je vis depuis 27 ans en
France…» L’identité plurielle comme
condition, le multiculturalisme
comme projet. « Je suis du monde, à
la fois étrangère et chez moi partout.»
Mais le déracinement n’exclut pas la
nostalgie, et la collection de Sandra
Hegedüs porte les traces de ce passé
brésilien. Une toile de Paulo Nimer
Pjota dans un coin du salon, une pièce
murale de Henrique Oliveira dans un
couloir, la photographie d’une déli-
cate intervention de Maria Laet dans
la nature, un fil blanc cousu dans le
sable. «Les œuvres que j’acquière sont
très personnelles, ce ne sont pas des
trophées de chasse », annonce-t-elle
avec assurance. L’appartement pari-
sien de Sandra Hegedüs est saturé. Le
design des années 1950, brésilien et
nordique, est entouré par des pièces de
Stéphane Thidet, Mircea Cantor, Julien
Prévieux, Philippe Ramette ou Jeanne
Susplugas. Une lance en essuie-glaces
de Camille Henrot côtoie celles, plus
anciennes, d’Amazonie. « La collec-
tion, pour moi, est une œuvre. Cet ensemble retrace le fil de
ma vie; il raconte une histoire, mon histoire.» Cela fait une
quinzaine d’années que l’occupante des lieux a commencé
à acquérir, avec son époux, Amaury Mulliez.
Pour autant, la collection a des racines plus profondes…
« J’ai toujours été entourée d’œuvres, chez mes parents
d’abord, mais aussi à São Paulo, pendant mes études. Nous
nous échangions des pièces pour nous rendre service, c’était
un système de solidarité.» À la Fundação Armando Alvares
Penteado (FAAP), en cinéma, elle côtoie les étudiants des
autres programmes. Récits nostalgiques des années passées
auprès des artistes de sa génération, Artur Lescher, Nuno
Ramos, Leda Catunda… Ensemble, sur la scène pauliste
des années 1980, ils réalisent des performances de jeunes
révoltés, de ceux qui ont grandi dans des systèmes répressifs
comme le Brésil de la junte, pleines de contestation et de
colère. Performances pendant lesquelles Sandra Hegedüs
pouvait porter deux briques de lait dans son soutien-gorge
qu’elle coupait au sécateur, le lait jaillissant sur l’audience,
s’enrouler et se dérouler avec des partenaires dans des bandes
magnétiques, ou encore organiser des dîners costumés avec
argenterie, soubrettes et bourgeois au MacDonald… Une
vie dissolue, vécue la nuit, pendant les fêtes. «C’étaient des
performances assez violentes; on réalisait aussi des détour-
nements d’objets, dans l’espace public. On faisait des trucs,
sans conscience ni volonté de faire de l’art.»
Revenue en France en 1990, après quelques années dans la
production audiovisuelle, un mariage et trois enfants, c’est
une nouvelle vie qui commence. «C’est sûr, avec le temps, la
sensibilité évolue. On comprendmieux ce qui nous touche.»
À la question fatidique, elle répond simplement, dans un
murmure et une gravité qui contrastent avec son naturel
énergique et plutôt enjoué. «Le temps qui passe, l’enfance,
la mort, les gens; j’aime les gens et leurs histoires.»
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