Revue Art Absolument N°78 – juillet-août 2017 - Aperçu - page 25

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Installé à Paris depuis 1966 tout en restant profondément japonais pour conserver
son identité dans « un état d’entre-deux », Takesada Matsutani s’est attaché
depuis ses premières expérimentations au sein du groupe d’avant-garde nippon
Gutaï à favoriser la liberté de la matière pour tenir ensemble sa mise en ordre et
son chaos. Alors que l’art spontané de Gutaï suscite un regain d’intérêt depuis
quelques années, son invitation à participer à la Biennale de Venise donne la
mesure d’une symphonie monoton qu’il compose avec les seuls noir et blanc du
graphite et de la toile.
ENTRETIEN AVEC TOM LAURENT
Tom Laurent |
En 1955, lorsque paraît le mani-
feste Gutaï, celui-ci affirme que « la
matière n’est pas assimilée par l’es-
prit. L’esprit n’est pas subordonné à la
matière», mais surtout que «faire vivre la
matière, c’est aussi donner vie à l’esprit».
Que représente Gutaï pour vous?
Takesada Matsutani |
L’esprit Gutaï, c’est : « Ne
copie pas, invente quelque chose de nou-
veau. » Jirô Yoshihara, le fondateur du
groupe, a tiré ce précepte d’un commen-
taire de Foujita à qui il venait demontrer ses
œuvres. Cela fait partie demon travail, mais
chacun d’entre nous a un caractère diffé-
rent, comme dans tous les mouvements
d’avant-garde. La plupart des artistes de la
première génération étaient passés par les
Beaux-Arts, ce n’était pas mon cas. La part
organique, érotique voire sexuelle de mon
travail m’est propre – on le voit déjà dans de
petites aquarelles figuratives que j’ai réali-
sées en 1958, comme
Résistance (Pressure)
,
encore éloignées de l’abstraction de Gutaï
auquel j’ai été intégré en tant que membre
en 1963. Jirô Yoshihara était doué d’une
grande originalité et il incarnait une sorte
de loi – c’est lui qui déterminait si la règle
de la nouveauté absolue était respectée et
on ne pouvait pas aller contre son avis. M.
Yoshihara s’opposait à toute narration, à
tout ce qui était d’ordre littéraire dans le
tableau, mais s’intéressait de près à l’abs-
traction, et surtout à la transformation de
la matière. Pour lui, «matière et esprit se
serrent la main». Par exemple, il a un jour
écrit un texte sur un tableau de Van Gogh :
ce qui en est ressorti, c’est l’épaisseur de
sa touche, la matière de sa peinture, en
aucun cas l’histoire que raconte le tableau.
Comment en êtes-vous venu à faire dialo-
guer matière et esprit selon les préceptes
de Gutaï ?
J’aimais beaucoup la figuration, je dessi-
nais bien de cette manière-là quand j’étais
jeune. Quand je suis sorti d’une maladie qui
m’a tenu à l’écart de l’école et des autres
pendant huit ans, jeme suis interrogé : com-
ment transformer les tableaux? En enlevant
la figuration. Les petites aquarelles orga-
niques viennent de là… En 1959, j’ai rencon-
tré SadamasaMotonaga, qui faisait partie de
Gutaï, et je me suis mis en tête de rentrer
dans le groupe. J’ai beaucoup expérimenté
et, en 1962, j’ai trouvé ma propre technique
en utilisant de la colle à bois vinylique – qui
était unmatériau nouveaumais bonmarché.
Je l’ai versée à plat sur une toile puis je l’ai
retournée : sous l’effet du vent – que je
devais remplacer plus tard par mon propre
souffle –, la colle a séché, gonflé et fait des
cloques. Cette expérimentation, c’est ce que
signifie le terme «Gutaï » : concret. Au lieu
de parler, de théoriser, on fait.
MATSUTANI,
ORGANIQUE CONCRET
Takesada Matsutani
Galerie Hauser & Wirth, Los Angeles
Du 1
er
juillet au 17 septembre 2017
A Visual Point-A.
1965, acrylique, huile et colle vinylique sur toile, 65 x 53 cm.
Courtesy de l’artiste et Hauser & Wirth.
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