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          Installé à Paris depuis 1966 tout en restant profondément japonais pour conserver
        
        
          son identité dans « un état d’entre-deux », Takesada Matsutani s’est attaché
        
        
          depuis ses premières expérimentations au sein du groupe d’avant-garde nippon
        
        
          Gutaï à favoriser la liberté de la matière pour tenir ensemble sa mise en ordre et
        
        
          son chaos. Alors que l’art spontané de Gutaï suscite un regain d’intérêt depuis
        
        
          quelques années, son invitation à participer à la Biennale de Venise donne la
        
        
          mesure d’une symphonie monoton qu’il compose avec les seuls noir et blanc du
        
        
          graphite et de la toile.
        
        
          ENTRETIEN AVEC TOM LAURENT
        
        
          Tom Laurent |
        
        
          
            En 1955, lorsque paraît le mani-
          
        
        
          
            feste Gutaï, celui-ci affirme que « la
          
        
        
          
            matière n’est pas assimilée par l’es-
          
        
        
          
            prit. L’esprit n’est pas subordonné à la
          
        
        
          
            matière», mais surtout que «faire vivre la
          
        
        
          
            matière, c’est aussi donner vie à l’esprit».
          
        
        
          
            Que représente Gutaï pour vous?
          
        
        
          Takesada Matsutani |
        
        
          L’esprit Gutaï, c’est : « Ne
        
        
          copie pas, invente quelque chose de nou-
        
        
          veau. » Jirô Yoshihara, le fondateur du
        
        
          groupe, a tiré ce précepte d’un commen-
        
        
          taire de Foujita à qui il venait demontrer ses
        
        
          œuvres. Cela fait partie demon travail, mais
        
        
          chacun d’entre nous a un caractère diffé-
        
        
          rent, comme dans tous les mouvements
        
        
          d’avant-garde. La plupart des artistes de la
        
        
          première génération étaient passés par les
        
        
          Beaux-Arts, ce n’était pas mon cas. La part
        
        
          organique, érotique voire sexuelle de mon
        
        
          travail m’est propre – on le voit déjà dans de
        
        
          petites aquarelles figuratives que j’ai réali-
        
        
          sées en 1958, comme
        
        
          
            Résistance (Pressure)
          
        
        
          ,
        
        
          encore éloignées de l’abstraction de Gutaï
        
        
          auquel j’ai été intégré en tant que membre
        
        
          en 1963. Jirô Yoshihara était doué d’une
        
        
          grande originalité et il incarnait une sorte
        
        
          de loi – c’est lui qui déterminait si la règle
        
        
          de la nouveauté absolue était respectée et
        
        
          on ne pouvait pas aller contre son avis. M.
        
        
          Yoshihara s’opposait à toute narration, à
        
        
          tout ce qui était d’ordre littéraire dans le
        
        
          tableau, mais s’intéressait de près à l’abs-
        
        
          traction, et surtout à la transformation de
        
        
          la matière. Pour lui, «matière et esprit se
        
        
          serrent la main». Par exemple, il a un jour
        
        
          écrit un texte sur un tableau de Van Gogh :
        
        
          ce qui en est ressorti, c’est l’épaisseur de
        
        
          sa touche, la matière de sa peinture, en
        
        
          aucun cas l’histoire que raconte le tableau.
        
        
          
            Comment en êtes-vous venu à faire dialo-
          
        
        
          
            guer matière et esprit selon les préceptes
          
        
        
          
            de Gutaï ?
          
        
        
          J’aimais beaucoup la figuration, je dessi-
        
        
          nais bien de cette manière-là quand j’étais
        
        
          jeune. Quand je suis sorti d’une maladie qui
        
        
          m’a tenu à l’écart de l’école et des autres
        
        
          pendant huit ans, jeme suis interrogé : com-
        
        
          ment transformer les tableaux? En enlevant
        
        
          la figuration. Les petites aquarelles orga-
        
        
          niques viennent de là… En 1959, j’ai rencon-
        
        
          tré SadamasaMotonaga, qui faisait partie de
        
        
          Gutaï, et je me suis mis en tête de rentrer
        
        
          dans le groupe. J’ai beaucoup expérimenté
        
        
          et, en 1962, j’ai trouvé ma propre technique
        
        
          en utilisant de la colle à bois vinylique – qui
        
        
          était unmatériau nouveaumais bonmarché.
        
        
          Je l’ai versée à plat sur une toile puis je l’ai
        
        
          retournée : sous l’effet du vent – que je
        
        
          devais remplacer plus tard par mon propre
        
        
          souffle –, la colle a séché, gonflé et fait des
        
        
          cloques. Cette expérimentation, c’est ce que
        
        
          signifie le terme «Gutaï » : concret. Au lieu
        
        
          de parler, de théoriser, on fait.
        
        
          MATSUTANI,
        
        
          ORGANIQUE CONCRET
        
        
          
            Takesada Matsutani
          
        
        
          Galerie Hauser & Wirth, Los Angeles
        
        
          Du 1
        
        
          er
        
        
          juillet au 17 septembre 2017
        
        
          
            A Visual Point-A.
          
        
        
          1965, acrylique, huile et colle vinylique sur toile, 65 x 53 cm.
        
        
          Courtesy de l’artiste et Hauser & Wirth.