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Robert Rauschenberg
TATE MODERN, LONDRES. DU 1
ER
DÉCEMBRE 2016 AU 2 AVRIL 2017
Cy Twombly
CENTRE POMPIDOU, PARIS. DU 30 NOVEMBRE 2016 AU 24 AVRIL 2017
PAR PASCALE LISMONDE
Paris-Londres : deux artistes américains majeurs du XX
e
siècle font l’événe-
ment. Alors que le Centre Pompidou expose une somptueuse rétrospective
Cy Twombly, à Londres, la nouvelle Tate Modern célèbre de même Robert
Rauschenberg, son ami et contemporain, l’exposant pour la première fois
depuis sa disparition en 2008, à près de 83 ans, comme Twombly. De part
et d’autre de la Manche, une occasion exceptionnelle de confronter l’œuvre
foisonnante de ces deux piliers et leurs mutations au fil de six décennies. À
partir d’un même refus liminaire de l’
action painting
et de l’expressionnisme
abstrait américain, ils renouvellent tous deux le rapport au monde et à l’his-
toire, Twombly selon son enracinement européen et Rauschenberg avec la
curiosité d’un grand voyageur ouvert à toutes les expériences.
Soit l’iconique pièce
Bed
(1955)
,
l’un des
Combine paintings
de Rauschenberg qui
vont faire sa renommée internationale. Il
a 30 ans, manque d’argent pour s’offrir les
matériaux artistiques traditionnels. Pas de
toile pour peindre? Sur un brancard de bois,
il tend un drap et un édredon prêté par une
amie artiste, colle au-dessus un oreiller
marqué par l’empreinte du dormeur, peint
le haut du lit en aplats et coulures multico-
lores, vernis à ongles rouge et dentifrice.
Et il dresse le tout à la verticale – arraché
au quotidien le plus intime, le lit empreint
d’affect, de sensualité est érigé en œuvre
d’art, où l’objet est central, intégré au geste
pictural et non plus ajouté au plan de la toile.
«Ce n’est ni de l’Art pour l’Art, ni de l’Art
contre l’Art. Je suis pour l’Art qui n’a rien à
voir avec l’Art, affirme Rauschenberg, l’Art
a tout à voir avec la vie. » Lui qui peignait de
grands monochromes blancs ou noirs ou
rouges, dans la mouvance des expression-
nistes abstraits, il se détourne de leur quête
esthétique de l’absolu ou de l’expression de
soi pour affronter la réalité concrète des
objets, alors bien plus subversifs. C’est aussi
qu’à New York, en déménageant à Pearl
Street, Rauschenberg a pour voisin Jasper
Johns – lequel vient de faire son premier
drapeau américain en le peignant sur une
couche de cire liquide afin de montrer les
traces physiques de son travail et souligner
ainsi la distance qui sépare une chose de
sa représentation. La rencontre avec cet
autre précurseur du Pop Art est décisive :
«Impossible d’imaginermon travail sans ses
encouragements», écrit Rauschenberg dans
son
Autobiography
. À commencer par son
geste iconoclaste, à vingt-huit ans, lorsqu’il
efface un dessin de De Kooning et l’expose
comme tel, feuille vide, comme dénudée,
sertie d’un cadre en bois doré. L’étiquette
à l’encre bleue
Erased De Kooning’s drawing
(1953) est de la main de Jasper Johns.
Au Black Mountain College,
tremplin de l’avant-garde
Effacer De Kooning! Celui-làmême qui avait
suggéré au jeune Rauschenberg d’aller
se former au Black Mountain College, en
Caroline du Nord, haut lieu de l’esprit pro-
gressiste depuis sa création en 1933 et où l’on
accueille les fondateurs duBauhaus ayant fui
le nazisme en Allemagne. Walter Gropius ou
Lyonel Feininger y donnent des cours, et Josef