Art Absolument N°75 - janvier / février 2017 - Aperçu - page 16

PORTFOLIO
76
POUR
LEILA
Le 18 janvier 2016, la jeune photographe
et vidéaste franco-marocaine Leila Alaoui
succombait à Ouagadougou, au Burkina
Faso. Elle figure malheureusement parmi
les trente victimes innocentes de l’atten-
tat terroriste perpétré par des djihadistes
du Sahel visant un grand hôtel et un café
du centre-ville principalement fréquentés
par des étrangers. Vivant entre Marrakech,
Beyrouth – où elle a fondé un centre d’art
contemporain avec son compagnon libanais
Nabil Canaan – et Paris, elle était présente,
ce jour fatal, à Ouagadougou afin de réaliser
un reportage pour
Amnesty International
.
L’émoi, dans le milieu artistique marocain,
a été considérable. Plusieurs magazines
l’ont présentée en Une ; la 6
e
édition de la
Biennale de Marrakech, organisée du 24
février au 8 mai 2016, lui a été dédiée ; ses
proches – en particulier Christine, samère –
ont décidé de perpétuer sa mémoire dans
le cadre d’une fondation consacrée à ses
œuvres. En France, en décembre dernier,
Audrey Azoulay, la ministre de la Culture,
l’a décorée, à titre posthume, du grade de
commandeur des Arts et des Lettres.
Outre sa beauté et son immense talent, son
engagement pour les «perpétuels laissés-
pour-compte» lui a apporté non seulement
une reconnaissance professionnelle mais
une très vive sympathie de nombre de ceux
qui l’ont rencontrée. La dernière fois que je
l’ai vue – en décembre 2015, à Paris –, nous
avions évoqué la parution d’un dossier sur
sa démarche dans la revue
Art Absolument
.
À 33 ans, Leila a déjà une œuvre mémo-
rable à la croisée du documentaire et des
arts plastiques contemporains. Son pre-
mier reportage,
No pasara
, s’immerge dans
le rêve de jeunes Marocains qui souhaitent
venir en Europe pour se construire une vie
meilleure. Comme elle l’a écrit : «Ces images
sont un témoignage de leurs réalités et de
leurs illusions, car si la possibilité de brûler
les frontières demeure incertaine, beau-
coup finissent par brûler leur identité, leur
passé et souvent leur vie.» L’une de ses der-
nières œuvres, la vidéo
Crossing
s, transmet
l’épreuve existentielle et le désir de survie
des migrants sub-sahariens qui quittent, le
plus souvent contraints et forcés, leur terre.
En plans successifs, diffusés simultanément
sur trois écrans, Leila «recrée oniriquement
le parcours desmigrants à partir dumoment
où ils quittent leur pays jusqu’à ce qu’ils
arrivent au Maroc
»
. Sa série intitulée
Les
Marocains
– produite avec un studio mobile
installé place Djemaa el-Fna, à Marrakech –
donne à voir les portraits de la diversité des
communautés populaires duMaroc à travers
des portraits subjectifs d’une grande dignité
et d’une grande beauté.
Résister, combattre la barbarie toujours
menaçante, par définition nihiliste puisque
fascinée par la pulsion de mort, passe –
entre autres – par le sentiment esthétique
qui, lui, rend hommage aux puissances de
vie qui exhaussent l’humanité.
L’œuvre de Leila Alaoui en est l’un des témoi-
gnages qui perdure.
Pascal Amel
Les Marocains, Tamesloht.
2011.
1...,6,7,8,9,10,11,12,13,14,15 17,18,19,20,21,22,23,24,25,...26
Powered by FlippingBook