55
montrer la «création continue» au Bénin
La Fondation Zinsou,
Entretien entre Marie-Cécile Zinsou et Tom Laurent
« L’art est ce qui cimente le mieux les idées et les peuples », écrivait l’artiste
ivoirien Frédéric Bruly Bouabré. Marie-Cécile Zinsou a bien entendu sonmessage,
et le « ciment » contemporain de la structure qu’elle dirige au Bénin ne recouvre
pas, bien au contraire, la terre rouge des anciens royaumes du Dahomey. Elle
révise ici certains préjugés, qui semblent parfois s’accrocher à cette terre plus
profondément que les fondations des palais royaux d’Abomey eux-mêmes.
TomLaurent |
Avant la création de la Fondation
Zinsou en 2005, quelle était votre vision de
l’art et de son rôle? Qu’en était-il aussi de
sa possibilité et nécessité d’exister sous
une forme muséale pérenne sur le sol
béninois – le musée à Ouidah a ouvert en
2013 –, alors que n’existaient que quelques
manifestations ponctuelles commeDak’Art
(depuis 1992) ou les Rencontres photogra-
phiques de Bamako (1994)?
Marie-CécileZinsou|
À l’époque, il n’y avait aucune
structure pour mettre en valeur l’art
contemporain. C’est face à un véritable
besoin que la Fondation Zinsou a été créée
car la visibilité et l’accès à l’art étaient
quasiment nuls. La création existait bel et
bien – les artistes ne nous ont pas attendus
pour œuvrer –, mais peu de moyens étaient
mis en place pour la révéler. Donc la ques-
tion n’était pas tant de savoir comment je
voyais l’art alors, mais plutôt comment
je ne le voyais pas ! L’idée de la fondation
est venue de ce désir de voir et de donner
à voir à tous… Pour que le message des
artistes puisse être audible par le plus
grand nombre. Emmener des élèves à la
rencontre de la création contemporaine
était un véritable parcours du combattant,
notamment pour convaincre des artistes –
dont on ne peut pas attendre qu’ils jouent
tous les rôles – d’ouvrir la porte de leur
atelier à 60 élèves à la fois...
Dans quellemesure une structure comme
la vôtre, à partir du moment où celle-ci
est pérenne, permet-elle de catalyser les
énergies et un épanouissement artistique
pour, qui sait, susciter des vocations?
C’est plutôt du côté du public que nous
souhaitions nous engager. Voilà pourquoi
tous nos services restent gratuits, pour
abattre des frontières et permettre aux
jeunes en particulier d’accéder aux œuvres.
Néanmoins, de nouvelles structures ali-
mentent aujourd’hui sur tout le continent
une dynamique de création : peut-être
que nous avons amorcé un mouvement de
déblocage pour certaines d’entre elles, car
le discours récurrent d’alors était que l’art
contemporain ne pouvait pas intéresser les
populations en Afrique – quand bien même
aucun lieu nemontrait d’œuvres contempo-
raines… Comme pour les livres : comment
affirmer que lire n’intéresse pas les jeunes
Samuel Fosso.
La Femme américaine libérée des années 70
, série
Tati.
1997, épreuve chromogène, 127 x 101 cm.
Dossier
Afriques de l’art