Art Absolument 70 - Mars/Avril 2016 - aperçu - page 18

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L’Affaire Arnolfini. Enquête sur un tableau de Van Eyck
Jean-Philippe Postel
Actes Sud – 18 €
On le nomme
Les époux Arnolfini
. Mais le sont-ils vraiment, des époux et représen-
tants de la riche famille demarchands italiens? Son titremême est une énigme et
il fut mille fois déchiffré... Peinte par Jan van Eyck en 1434, l’œuvre passe demains
enmains jusqu’à trouver place à la National Gallery de Londres enmars 1843, mais
son histoire reste lacunaire. De nombreux inventaires et recherches d’historiens
de l’art tels Erwin Panofsky ou Lorne Campbell établissent un réseau d’indices
permettant de déceler la relation obscure qu’entretiennent les deux principaux
protagonistes du tableau. Est-ce une fiction picturale, une commande ou un récit
autobiographique ? Tel un thriller haletant, Jean-Philippe Postel capture notre
attention et effeuille, page à page, détail par détail, ce chef-d’œuvre d’illusion. Le
prestige du célèbre peintre flamand Jan van Eyck tient dans ce «qu’aucun résidu
d’objets non signifiants ni de symbole non déguisé» ne subsiste dans ses œuvres.
C’est ainsi qu’échos aux fables et croyances de la Flandre du XV
e
siècle mais aussi
corrélations plastiques et physiques jalonnent les investigations de cet ancien
médecin généraliste qui «applique à l’œuvre picturale les méthodes de l’observa-
tion clinique attentive». Et nous tient en haleine pour mieux induire l’observation.
Car « Regarder, regarder encore, regarder toujours, c’est ainsi seulement qu’on
arrive à voir», disait Jean-Martin Charcot.
CR
Jean-Michel Alberola. Tableaux
Claire Stoullig, Catherine Grenier et Jean-Michel Alberola
Flammarion – 50 €
Depuis les années 1980, chroniquant la réalité et ses vérités sous-jacentes face à
une modernité indifférente, l’œuvre de Jean-Michel Alberola appelle au doute et à
l’insurrection. Présentée ici à travers une monographie, sa production de tableaux
reste restreinte. La peinture est avant tout un moyen qu’il conjugue lors de ses
expositions avec ses autres médiums : néons, installations, vidéos et fresques
dans une cohésion complexe et éloquente. Mettant en scène récits mythologiques
et bibliques, les charades picturales et verbales qu’invoque l’artiste sont autant de
silences que de plaintes cherchant une porte par laquelle entrer – «La sortie est à
l’intérieur», peut-on y lire, la quête est en «en deçà» de nous-mêmes. S’inspirant
de Velázquez ou Watteau au même titre que de Nietzsche ou de Marx, ses apho-
rismes et autres tournures «éclairées» fondent certaines de ses séries. Lemélange
entre la force textuelle et la puissance de l’image, hors de toute préconception,
permet à l’observateur «d’opérer sa propre remise en cause», selon Claire Stoullig.
Alberola explore l’histoire de l’art – et de l’homme – et suggère l’absence de la
«pureté» et de la certitude par un graphisme qui oscille entre une abstraction aux
accents cartographiques et une figuration partielle, ne faisant apparaître que des
membres, quelques traits d’un visage ou un œil.
Charlène Rioux
À voir
Alberola.
L’aventure des détails.
Palais de Tokyo, Paris. Du 19 février au 16 mai 2016
La Chine dérobée
de Patrick Zachmann
Dans une démarche à la fois textuelle et photographique simi-
laire à celle de son précédent ouvrage,
Mare mater
, consacré
à la condition des migrants méditerranéens mêlée à son
propre récit familial et à son rôle en tant que photographe,
Patrick Zachmann s’est intéressé aux mutations de la société
chinoise depuis 1982, date de son premier voyage. Chronique
de ses explorations
, So long, China
initie un usage subversif
du reportage photographique.
« Je suis attire par ce pays et par sa culture sans savoir exactement
pourquoi. Il y a forcement en moi une part de fantasmes et de cliches,
lies a cette culture millenaire, a l’etrangete, au mystère, a ce a quoi
on n’a pas accès », note Zachmann en 1982. Étalée sur plus de 30
ans, c’est une quinzaine de voyages et projets photographiques qui
vont finalement se succéder, retraçant le destin chaotique et comme
accéléré de ce peuple. Au fil des pages de son journal de bord, Patrick
Zachmann relate les événements, les rencontres et les états d’âme
qui colorent son périple. Arrivé en 1982 en tant que journaliste, il est
systématiquement escorté à la demande du Parti, situation qu’il juge
étouffante. Il décide dès lors d’être guidé où simplement accompagné
et se fraye ainsi un chemin dans un quotidien plus intime. Étranger
aux lieux et aux coutumes, il traverse Pékin, Taïwan, Hong Kong et
d’autres villes du Sud avec un jeune Chinois émigré à Paris qui lui
sert d’interprète et de « poisson-pilote ». La diaspora chinoise lui sert
un temps de fil conducteur : il rencontre ainsi Wendy, dont la mère
vivant à Paris a organisé le passage de sa petite fille de 10 ans en
France, et la suit sur la route de Wenzhou pour le Nouvel An chinois.
C’est à travers le prisme de ces individus et de leurs souvenirs qu’il
saisit une Chine brute, sans artifices. Les bouleversements sociaux
et politiques apparaissent au fil de ses allers-retours. Il capture le
Printemps de Pékin jusqu’au mouvement des
mingong
, dû au déve-
loppement d’une économie de marché favorisé par Deng Xiaoping. Le
passage de clichés en noir et blanc à des tirages couleurs véhicule
ces changements à la fois illusoires et décisifs qui affectent toutes
les classes et dénaturent l’ensemble du paysage urbain. Moments
forts et anecdotes touchantes se répondent pour donner à observer,
peut-être d’un peu plus près, les combats transgénérationnels d’un
peuple ayant soif de liberté.
CR
Patrick Zachmann.
So long, China
.
Editions Xavier Barral – 45 €
À voir
So Long, China.
Maison Européenne de la photo-
graphie, Paris.
Du 6 avril au 5 juin 2016
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