Art Absolument 70 - Mars/Avril 2016 - aperçu - page 13

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Entretien avec Pascale Lismonde
la couleur pour
changer le monde
Gérard Fromanger,
Après l’exposition
Figuration narrative
en 2008 au Grand Palais, le MNAM-Centre
Pompidou présente une rétrospective inédite de son œuvre, un parcours théma-
tique composé par le commissaire Michel Gauthier où éclate toute la vitalité de
cinquante ans d’une création mue par un double ressort – « la passion picturale
et le souci du monde ». Sa
Peinture d’histoire
en fait voir
De toutes les couleurs
.
Pascale Lismonde |
Après vos grandes rétros-
pectives en 2005 à la Villa Tamaris en
Seyne-sur-Mer ou, en 2012,
Périodisations
(du mot de Deleuze sur vos séries) pour
inaugurer les Capucins, le nouvel espace
Leclerc à Landerneau, cette fois, c’est la
consécration?
Gérard Fromanger |
Le Centre Pompidou m’offre
une magnifique reconnaissance. Et aussi
une forme de retour : en 1980, Pontus
Hultén, le premier directeur dumusée, avait
exposé ma nouvelle série
Tout est allumé
qui venait d’être refusée par mon galeriste
d’alors – la galerie Jeanne Bucher – par
suite d’un désaccord esthétique. J’ai connu
des différends avec quelques marchands
car, pour moi, peindre, c’est inventer, cher-
cher de nouveaux langages, et nonm’enfer-
mer dans un style, « faire du Fromanger »
dans un souci commercial. Déjà en 1967,
après quatre années de collaboration, j’ai
quitté la prestigieuse galerie Maeght où
m’avait introduit Prévert, rencontré à 18
ans, mon ami jusqu’à sa mort en 1977, et
Giacometti, très amateur de mes premiers
tableaux. Tout avait bien commencé. César,
qui admirait mes dessins à l’Académie de
la Grande Chaumière, m’avait prêté son
atelier pendant deux ans : j’en ai fait 5000 !
Chez Maeght, je peignais alors des nus
gris qui plaisaient beaucoup. Mais j’ai
voulu introduire du rouge, un travail com-
mencé en 1964 avec ma série des
Pétrifiés
,
et
Première ombre au tableau
, à la fois
hommage à Duchamp et découverte de
l’ombre – la silhouette d’une femme pas-
sant devant l’un de mes tableaux : depuis
Pline l’Ancien, la peinture est une fille de
l’ombre, et son pouvoir d’abstraction m’a
poursuivi toute ma vie. J’ai continué avec
les multiples de Gérard Philipe sur
Le
Rouge et le Noir dans le Prince de Hombourg.
Pour Aimé Maeght, cette mutation stylis-
tique venait dix ans trop tôt ! J’ai insisté
pour «montrer pendant que c’était encore
frais, pas encore de l’art ». Il a refusé : il
voulait faire de moi « le Johnny Hallyday de
la peinture, me rendre milliardaire». Mais
je voulais être peintre, libre d’inventer et
non pas devenir riche. On s’est quittés ainsi.
Là-dessus, explosion de Mai 1968. Vous
affirmez le «Rouge Fromanger» comme
votre emblème car l’atelier populaire
des Beaux-Arts refuse votre projet d’af-
fiche avec le drapeau qui saigne, mais le
mouvement de Cohn-Bendit l’imprime à
Nanterre, et Godard vous propose d’en
faire un film – beau rappel de l’origine du
rouge sur notre drapeau national, le sang
du peuple massacré au Champ de mars
en juillet 1791. Et le rouge investit vos
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Souffles de Mai
, ces bulles en altuglass
dans les rues de Paris, une série de séri-
graphies, vos décors et costumes d’
Hym-
Peinture-Monde, Carbon black,
serie
Le cœur fait ce qu’il veut
.
2015, acrylique sur toile, 200 x 156 cm. Collection de l’artiste.
Gérard Fromanger
Centre Pompidou, Paris. Du 17 février au 16 mai 2016
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