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Éditorial
Tableau mué en image, le
Bonaparte fran-
chissant le col du Grand-Saint-Bernard
, peint
en 1800 par Jacques-Louis David, inaugure
une iconographie napoléonienne, érigée
sur des fondements héroïques. Ce mor-
ceau de bravoure, qui voit une réalité pro-
saïque, puisque le jeune général aurait en
réalité passé les Alpes à dos de mule revêtu
d’une redingote grise, transformée en
vision symbolique du dynamisme conqué-
rant, est le point de départ de l’exposition
Les Désastres de la guerre
, présentée au
Louvre-Lens. Avec une question à la clé :
« Comment les artistes de ces deux der-
niers siècles ont-ils radicalement modifié
notre image de la guerre?»
Cette histoire d’inversion des valeurs est
aussi celle d’un déplacement : à l’héroïsme
militaire succède celui des témoins agis-
sants, et par là même des artistes. Le pho-
tographe Gilles Caron, décédé au Cambodge
lors d’un reportage d’images en 1970, en
est peut-être un exemple fulgurant, avec sa
volonté de tout montrer. En s’interrogeant
sur son métier, lorsqu’il « shoote » son
propre collègue Raymond Depardon filmant
la mort d’un enfant du Biafra. Alors que
l’expérience du conflit transforme le regard,
comment témoigner d’une situation drama-
tique? Que dire de l’espoir et de l’attente?
La question se pose avec insistance pour la
Syrie d’aujourd’hui, morcelée, divisée, étouf-
fée. Elle se pose depuis une cinquantaine
d’années en Iran. À l’urgence des premiers
jours de la révolution répond un temps long,
une installation dans la durée. Car le temps
de la création n’est pas celui de l’actualité,
comme on peut le voir chez les Syriens
Youssef Abdelké, TammamAzzamouKhaled
Takreti, qui, chacun à leur manière, mêlent
dans leurs œuvres résurgences du passé et
interpellations du présent, tout en donnant
forme à l’espoir. Ce temps si précieux prend
souvent la forme d’un retour sur lui-même.
Pour l’Américano-Libanaise Etel Adnan :
«Où ira-t-on quand les lumières s’éteindront
et que l’on se rassemblera?», la question
de la destination semble rejoindre celle des
origines – ses petits tableaux embrasés font
surgir lemotif dumont Tamalpais,montagne
sacrée qui s’enfonce dans lamer pour l’éter-
nité, tout comme le Liban de son enfance
semble s’y abîmer. Ultime question : qu’y
a-t-il de plus sacré que l’enfance, lorsque
des générations entières sont sacrifiées sur
l’autel de la guerre?
Tom Laurent
Jacques-Louis David.
Bonaparte franchissant le col du Grand-Saint-Bernard.
1802, huile sur toile, 271 x 232 cm. Versailles, Musée national des châteaux
de Versailles et de Trianon.
Tammam Azzam.
Musée syrien-Goya.
2012, impression archive sur papier coton, 55 x 73 cm.
des images
La résistance
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