Les
fantômes
d’
Angkor
Par Emmanuel Daydé
Angkor : Naissance d’un mythe – Louis Delaporte et le Cambodge.
Commissariat : Pierre Baptiste et Thierry Zéphyr.
Musée des arts asiatiques Guimet, Paris.
Du 16 octobre 2013 au 13 janvier 2014.
Voir Angkor et mourir ? La découverte par les
Européens, en plein XIX
e
siècle, de lamystérieuse cité
d’Angkor, oubliée au sein d’une impénétrable forêt
vierge, a été un tel choc que la rencontre aurait pu
virer aux noces barbares d’
Apocalypse Now
. Comme
dans le film halluciné de Coppola, tout commence
d’ailleurs par une audacieuse mission d’exploration
au cœur d’une péninsule indochinoise encore lar-
gement inconnue en Europe. Suscitée par Francis
Garnier, futur conquérant et martyr d’Hanoi, tête
brûlée aux allures de colonel Kurtz (et qui finit d’ail-
leurs la tête coupée), la Commission d’exploration
du Mékong remonte le fleuve en 1866. Aucun scien-
tifique parmi ses six membres – car, selon un haut
fonctionnaire de Saigon, « ils auraient été ahuris et
fatigués au bout de huit jours» – mais «des hommes
de bonne volonté » et un seul mot d’ordre : «Nous
irons aussi loin que nous le pourrons. » Recruté en
tant que dessinateur auprès du capitaine de frégate
Doudart de Lagrée, représentant de la France au
Cambodge et commandant de l’expédition, le lieu-
tenant Louis Delaporte découvre avec stupéfaction,
lors d’un court crochet d’une dizaine de jours décidé
par Doudart («afin de se concilier les bonnes grâces
des artistes et des curieux en Europe »), les gran-
dioses ruines d’Angkor, cachées derrière une forêt
dense et touffue de palmiers, de cocotiers et de
racines de fromagers géants. Angkor Thom, c’est-
à-dire Angkor-la-Grande, « la ville murée», est alors
totalement envahie par la jungle depuis le départ de
son dernier roi en 1431, contraint, devant la poussée
siamoise, d’aller installer sa capitale beaucoup plus
au sud, au-delà du Tonlé Sap, le grand lac. La brève
réinstallation d’une cour éphémère au XVI
e
siècle,
passée inaperçue, n’y a rien changé. Ce n’est pas
tout à fait le cas du grand monastère voisin d’Ang-
kor Vat : ses temples ont beau n’être «connus que
par dix Européens », ils ont bien été décrits par les
missionnaires comme étant la «Babel des Indiens,
renommés comme l’est Rome entre les chrétiens».
Demeuré un lieu de culte vénéré et entretenu par les
Khmers, de brahmanique à l’origine, le sanctuaire
Expositions
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