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numéro 27
janvier 2009
Après Van Gogh se ressourçant chez les Japonais, Manet chez Vélasquez et Degas chez
Véronèse, quels nouveaux modes d’influence les artistes mettent-ils enœuvre aujourd’hui ?
Si copier était autrefois le processus d’apprentissage et de création incontournable, par
quoi a-t-il été remplacé ? L’hypothèse d’une modernité usant de transgression, suivie
d’une post-modernité utilisant la citation, pourrait-elle déboucher sur des pratiques
actuelles tournées vers l’interprétation ?
TRANSGRESSIONS
Certaines œuvres modernes ne transforment pas
seulement l’image d’‘une peinture donnée mais inter-
viennent littéralement
sur
la peinture, faisant de la
destruction un mode de création !
Joan Miró en 1930 parle d’
assassinat de la peinture
et soutient : “L’art est en décadence depuis l’âge des
cavernes.” Il achète ainsi des “croûtes” pour les repein-
dre : dans
Personnages et oiseaux dans un paysage
(1976), Miró jette en tous sens un filet de laque noire
et de signes rouges sur le tableau et son cadre doré,
mais laisse transparaître le paysage et le vol de canard.
Selon Emilio Fernandez, son petit-fils, “s’élaborent
deux transgressions, le tracé du signe d’une part et
de l’autre la suggestion d’un antécédent non travaillé
par Miró”. Autre transgression, il exhibe en 1973 des
toiles en partie brûlées. Christian Jaccard mènera une
altération comparable sur des portraits anonymes du
XVIII
e
siècle qu’il calcine avec une mèche enflammée.
Chez Jaccard comme chez Miró, le sens n’est pas la
suppression de Rauschenberg qui efface deux dessins
de Kooning, ni l’ironie de Duchamp qui dessine une
moustache à la Joconde
,
ni encore le nihilisme d’Arman
qui déchire des images de Warhol, mais bien plutôt la
relance de la peinture : la peinture assassinée, brûlée,
renaît de ses cendres. La destruction manifeste-t-elle
un pouvoir d’amélioration?
Asger Jorn, peintre danois du mouvement COBRA,
conteste l’idée de paternité en peinture. Pour mieux le
démontrer, il crée à Alba en Italie, avec Pinot-Gallizio,
des œuvres à plusieurs mains et imagine en 1949 de
continuer
des toiles de maîtres anciens. Il peint sur
des reproductions de Manet et relate l’année suivante,
dans une lettre à Constant, son opération d’usurpation :
“Voici où je suis entraîné de former une nouvelle
section de notre travail : je me l’appelle SECTION
D’AMÉLIORATION DES ANCIENNES TOILES. Nous pro-
posons au nom de COBRA d’
améliorer
des toiles des
collections ou desmusées anciens. J’ai déjà commencé
avec une chose de Raphaël, de Monet et de Braque.”
Dix ans plus tard, en 1959, c’est à des chromos trou-
vés aux puces qu’il applique ce principe, baptisé “toile
améliorée”, puis “modification”. Les ajouts tonitruants
de couleurs et de figurations déformées expriment le
cri et le rire inhérent à la peinture de Jorn. Sa liberté
ne rend-elle pas l’oblitération créative?
Le peintre viennois Arnulf Rainer, depuis les années 50,
recouvre en noir ses
Surpeintures,
et rature ses pho-
tographies. Depuis 1995, dans ses
Surillustrations
, il
oblitère des illustrations de la Bible, comme celles de
Gustave Doré. Brouillant des dessins de Victor Hugo ou
opérant en 1978 des
Recouvrements sur masques mor-
tuaires
, les choix d’image qu’opère Rainer sont déjà la
moitié accomplie du chemin créatif, comme dans toute
Peinture sur peinture
. L’autre moitié est le traitement
de l’œuvre choisie. Rainer surcharge une
Tête de Christ
de traînées colorées qui balafrent l’image, soit pour
la réanimer soit pour l’outrager. Entre vénération et
blasphème, l’oblitération est partagée entre dimension
mortifère et renaissance. Mais d’après Jean-Michel
Foray : “Le travail sur les illustrations de la Bible est
plus serein, comme si l’ambivalence d’Arnulf Rainer
à l’égard des images (il faut beaucoup les aimer
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Esthétique
Peinture
sur
peinture
Par François Jeune
Vincent Van Gogh.
Le pont sous la pluie
(d’après Hiroshige)
.
1887, huile sur toile, 73 x 54 cm. Collection Van Gogh Museum, Amsterdam.
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