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numéro 27
janvier 2009
Extrait d’un texte sulfureux – paru en 1889 – du grand romancier et critique d’art qui se
déclarait avant tout engagé dans le catholicisme, à propos de l’artiste belge symboliste à la
vie et aux thématiques hors normes.
La vue d’une œuvre érotique, faite par un artiste d’un
vrai talent, m’induit à d’obscures descentes dans des
fonds d’âmes. Loin des nudités que j’eus tout d’abord
un mélancolique plaisir à contempler, je rêve à leurs
auteurs et jeme demande à quelles impulsions, à quels
sentiments ils obéirent, alors qu’ils exécutèrent de
semblables œuvres.
Le point de vue vénal écarté, s’il s’agit d’un artiste que je
sais probe, je dois repousser aussi le soupçon demœurs
infâmes, éloigner l’idée que ses tableaux reproduisent
les épisodes de sa vie intime, car du moment que la
débauche effective s’affirme, l’art exténué s’endort
dans le coma des roquetitins et meurt. Au reste, celui
qui cède aux abois lubriques n’est guère en état de les
traduire sur un papier ou sur une toile. J’ajoute que,
généralement, celui-là célèbre la vertu, proclame la
décence, exalte l’amour, cèle, sous les allures bégueules
et glacées d’une œuvre, les studieuses turpitudes qu’il
élabore dans le coûteux silence des lieux sûrs.
L’hypocrisie qui voile si délibérément les ordures de
la vieille Angleterre en proie à l’enfantine passion des
viols, explique aisément la conduite de ces gens, dans
leur existence privée et dans leurs œuvres.
Au fond, quand on y songe, seul le contraire est vrai, car
il n’y a de réellement obscènes que les gens chastes.
Tout le monde sait, en effet, que la continence engen-
dre des pensées libertines affreuses, que l’homme non
chrétien et par conséquent involontairement pur, se
surchauffe dans la solitude surtout, et s’exalte et diva-
gue; alors, il va mentalement, dans son rêve éveillé,
jusqu’au bout du délire orgiaque.
II est donc vraisemblable que l’artiste qui traite violem-
ment des sujets charnels, est, pour une raison ou pour
une autre, un homme chaste.
Mais cette constatation ne semble pas suffisante, car, à
se scruter, l’on découvre que, même en ne gardant pas
une continence exacte, même en étant repu, même en
éprouvant un sincère dégoût des joies sensuelles, l’on
est encore troublé par des idées lascives.
C’est alors qu’apparaît ce phénomène bizarre d’une
âme qui se suggère, sans désirs corporels, des visions
lubriques.
Impurs ou non, les artistes dont les nerfs sont élimés
jusqu’à se rompre, ont, plus que tous autres, constam-
ment subi les insupportables tracas de la Luxure. Je
ne parle pas ici de l’acte suscité par la Luxure même,
de l’acte de fornication qui n’est que malpropre et
qui témoigne simplement d’un tempérament plus ou
moins excitable, de nerfs plus ou moins vibrants, de
reins plus ou moins forts. Je ne parle même pas de
la convoitise qui précède les labeurs vénériens et les
réclame, car elle décèle seulement un éveil aisé des
sens ou des réserves dociles et longtemps gardées ;
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Domaine public
Par Joris-Karl Huysmans
Félicien Rops
Musée Félicien Rops
12, rue Fumal- B-5000 Namur, Belgique
Créé en 1964 pour recevoir la “collection Rops” du comte Visart
de Bocarmé, le musée bénéficie de nombreux enrichissements
grâce aux achats de qualité effectués par la province de Namur,
propriétaire de cette collection. Dès les années 1980, les pièces
sont trop à l’étroit dans les espaces d’origine, en raison d’im-
portants dépôts d’œuvres originales de la communauté fran-
çaise de Belgique, de la Fondation Roi Baudouin, du conseil
régional wallon, et de collectionneurs privés. Avec l’acquisition
et l’ouverture au public en 1987 d’un hôtel de maître, ancienne
propriété du beau-père de Rops, commence une nouvelle ère
pour le musée : ponctuée de travaux de rénovation et d’agran-
dissement, elle permet aujourd’hui d’apprécier et de rendre
accessible à tous l’œuvre singulière et superbe de Félicien Rops
qui, rappelons-le, est né à Namur et y a vécu (1833-1898). Le
musée présente non seulement tous les aspects de son art mais
aussi les grandes étapes de sa biographie (Namur, Bruxelles,
Paris), ainsi que ses rencontres avec d’autres artistes (peintres,
écrivains, musiciens). Une approche technique de la diversité
de son talent est proposée: gravures, dessins, illustrations,
peintures. À voir
absolument
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EN SAVOIR PLUS
Le sacrifice.
1882, gouache, aquarelle, crayons de couleur, 28 x 18 cm.
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