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GUTAI,
EN QUÊTE
D’UN ART TOTAL
LE BRAS LEVÉ, LE POING SERRÉ, COMME EN SIGNE DE VICTOIRE, IL ÉMERGE D’UNE
SUCCESSION D’ÉCRANS DE PAPIER TEL LE GUERRIER D’UN ÂGE NOUVEAU QUI VIENT
DE CONQUÉRIR UN NOUVEAU TERRITOIRE. LE SIEN N’EST PAS GÉOGRAPHIQUE, IL
EST ESTHÉTIQUE. CE FAISANT, MURAKAMI SABURO – QUI A COMMIS CETTE PERFOR-
MANCE EN 1956, À TOKYO, LORS DE LA DEUXIÈME EXPOSITION DU GROUPE GUTAI –
N’AVAIT SANS DOUTE PAS IMAGINÉ QU’IL CONFÉRAIT À CELUI-CI SES LETTRES DE
NOBLESSE ICONOGRAPHIQUES. LA PHOTOGRAPHIE LE REPRÉSENTANT VENANT
DE TRAVERSER SEPT CHÂSSIS EN BOIS, CHACUN RECOUVERT DE CHAQUE CÔTÉ DE
FEUILLES DE PAPIER KRAFT COUVERT DE POUDRE D’OR, S’EST EN EFFET IMPOSÉE
AU FIL DU TEMPS COMME EMBLÉMATIQUE DE L’ESPRIT DU GROUPE. TOUT À LA FOIS
ICONOCLASTE ET PROSPECTIF.
PAR PHILIPPE PIGUET
GUTAI, L’ESPACE ET LE TEMPS
MUSÉE SOULAGES, RODEZ
DU 7 JUILLET AU 4 NOVEMBRE 2018
COMMISSARIAT : BENOÎT DECRON
Fondé en août 1954 par Yo-Shihara Jiro, peintre,
théoricien, précurseur de l’art abstrait au Japon, fin
stratège, le
Gutai bijutsu kyôkai
(Association d’art
concret) est né dans la province du Kansai. Son ini-
tiateur est alors un artiste reconnu, âgé de cinquante
ans, qui vit à Ashiya, près d’Osaka, et dont l’aisance
matérielle et l’autorité intellectuelle contribuent à
asseoir le prestige. Disciple lui-même de Foujita qui
lui apprit à « faire ce que personne n’avait encore
entrepris » – mot d’ordre de Gutai –, Yo-Shihara
était une sorte d’artiste touche-à-tout qui était
passé par toutes sortes de styles et de pratiques.
« Je suis un maître qui n’a rien à vous apprendre
mais je vais créer un climat optimum pour la créa-
tion », proférait-il aux jeunes artistes qu’il avait
réunis autour de lui et qui étaient à la recherche de
nouvelles expériences picturales. Dès 1955, le groupe
organise une exposition à Tokyo et publie un pre-
mier manifeste en anglais, signe de sa volonté de
relever le défi de l’art occidental moderne. L’année
suivante, Yo-Shihara Jiro en rédige un autre, davan-
tage théorique, qui donne le la d’une esthétique
faisant la part belle à la matière : « L’art Gutai ne
transforme pas, ne détourne pas la matière ; il lui
donne vie. Il participe à la réconciliation de l’esprit
humain et de la matière, qui ne lui est ni assimilée,
ni soumise et qui, une fois révélée en tant que telle,
se mettra à parler et même à crier. L’esprit la vivifie
pleinement et, réciproquement, l’introduction de la
matière dans le domaine spirituel contribue à l’élé-
vation de celui-ci. »
Travail de matières épaisses, couches de papier
encollées et déchirées, surfaces de bois brûlées
, les
premières actions peintes du groupe laissent prévoir
Ohara Kaikan.
Shimamoto Shôzô créant une peinture en lançant des bouteilles en verre de peinture
contre une toile à la deuxième exposition d’art Gutai
. 17 novembre 1956, photographie.
JAPON