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FUKAMI
,
VOYAGE ESTHÉTIQUE
DU NORD AU SUD DE L’ARCHIPEL
REDÉCOUVRIR L’ESTHÉTIQUE JAPONAISE À L’AUNE DU XXI
E
SIÈCLE AVEC UNRETOUR
SUR SON PASSÉ LOINTAIN TOUT ENMONTRANT SES CRÉATIONS LES PLUS RÉCENTES,
TEL EST L’ENJEU DE L’EXPOSITION
FUKAMI, UNE PLONGÉE DANS L’ESTHÉTIQUE
JAPONAISE
. VISIBLE CET ÉTÉ À L’HÔTEL SALOMON DE ROTHSCHILD, CELLE-CI
S’INSCRIT DANS LE PAYSAGE FRANÇAIS COMME UNE SYNTHÈSE DE TOUTES LES
MANIFESTATIONS PRÉVUES DE JUILLET 2018 À FÉVRIER 2019, À L’OCCASION DU 160
E
ANNIVERSAIRE DES RELATIONS ENTRE LA FRANCE ET LE JAPON. RENCONTRE AVEC
YUKO HASEGAWA, SA COMMISSAIRE ET DIRECTRICE ARTISTIQUE DU MUSÉE D’ART
CONTEMPORAIN DE TOKYO.
PROPOS RECUEILLIS PAR ISABELLE CHARRIER
ISABELLE CHARRIER
Le titre de l’exposition
Fukami
深み
est traduit en français par
«Plongée» dans l’esthé-
tique japonaise
. Pourquoi ce titre ? Cette exposi-
tion a-t-elle été conçue pour la France seulement
ou sera-t-elle également présentée au Japon ?
YUKO HASEGAWA
Mon idée était que, contrairement au
mouvement japoniste du XIX
e
siècle initiée par les
Européens, le Japon devait être le point de départ
de cette introduction à grande échelle de l’esthé-
tique japonaise au public français d’aujourd’hui.
C’est ce qu’exprime ce titre car il fallait dépasser
la compréhension qui existe jusqu’à maintenant,
d’où le terme de plongée, d’approfondissement.
Pour ce faire, les différents éléments constitutifs
de cette esthétique sont réunis en montrant qu’ils
forment un tout, un ensemble. De fait,
Fukami
a été
conçue pour la France et ne sera pas présentée au
Japon. S’il s’était agi d’organiser une exposition sur
l’esthétique japonaise au Japon, sa teneur aurait
été largement différente. C’est pourquoi il nous a
également semblé pertinent de présenter au public
français des œuvres occidentales au milieu d’œuvres
japonaises – par exemple un bois sculpté de Picasso
ou des peintures de Gauguin – en les observant du
point de vue japonais.
Dans ce parcours en dix thèmes sont proposés à la
fois un retour vers le passé à travers la poterie Jômon
et une perspective d’avenir –qu’incarne notamment
le dialogue entre un danseur et un robot conçu par
Justine Emard et Mirai Moriyama. Existe-t-il un lien
entre ces deux extrêmes dans le temps qui définirait
une sorte de paradigme permanent?
Oui, il s’agit de l’animisme. À l’époque Jômon, qui se
situe au néolithique, les décors cordés qui ornaient
les poteries étaient utilisés dans la vie quotidienne.
Il existait une relation spirituelle très forte entre les
éléments de la nature, les animaux et les hommes,
et celle-ci perdure lorsqu’on se sert de robots et de
l’intelligence artificielle. Car au Japon les machines
sont considérées sur le même plan que les êtres
humains : comme les éléments naturels ou les ani-
maux, l’intelligence artificielle possède un esprit,
une âme – à l’opposé de la vision occidentale où
l’homme est placé au centre de l’univers, et vu
comme supérieur aux autres créatures.
Au Japon, il n’y a pas de frontière entre l’art et
l’artisanat, contrairement à l’Europe où celle-ci
subsiste. Rendre visible cette divergence était-
il votre volonté en exposant le peintre laqueur
Shibata Zeshin (1807-1891) ?
L’artisanat possède une esthétique à part entière, c’est
une des esthétiques japonaises. La laque existe depuis
l’époque Jômon, et exprime l’âme du Japon. À notre
époque où le design occupe une place de premier
ordre,montrer ces objets en laque trèsminimalistes– la
forme cubique des
maki-e
, ces boîtes enduites de sève
de laquier, est d’une magnifique simplicité – expose
cette attention particulière à l’inscription flottante des
motifs à la surface noire de ces objets. J’ai choisi de
mettre dans la même salle des peintures acryliques de
la Française Anne-Laure Sacriste car le symbolisme de
Vue de l’exposition
Fukami
, Hôtel Salomon de Rothschild, Paris, 2018.
Lee Ufan.
Relatum Dwelling (2).
2018, ardoises. Courtesy du Studio Lee Ufan.
JAPON