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POUR «MAÎTRE KIM»
UN MUSÉE
Né en 1929 à Maengsan, un petit village de
Corée du Nord, Kim garde de cette époque
le souvenir d’un apprentissage fondamen-
tal dont il n’a rien perdu encore aujourd’hui,
celui de la calligraphie. «C’est mon grand-
père qui me l’a enseignée », précise-t-
il, non sans fierté, à ses interlocuteurs,
soucieux de souligner par là le soin d’une
transmission à laquelle il s’est lui-même
attaché à l’égard des siens. L’invasion de la
Corée du Nord par les Chinois et le change-
ment radical de la société le conduisent en
1946 à se réfugier à Séoul. Il y étudie alors
l’histoire de l’art et la peinture à l’huile
à l’université puis devient professeur de
dessin dans une école d’art, participant à
de nombreuses expositions collectives.
En 1965, curieux d’aller à la rencontre de
l’art occidental, Kim Tschang Yeul décide
de se rendre tout d’abord à Londres, puis
s’installe à New York, où il suit des cours
à l’Art Students League. Enfin, cinq ans
plus tard, il arrive en France où il trouve
un espace pour travailler à Palaiseau et
déménage par la suite dans le quartier de
Montparnasse. Dès lors, il ne cessera de
partager son temps entre les deux capi-
tales, celle de son pays d’origine et celle
de son pays d’adoption. Âgé aujourd’hui
de 86 ans, Maître Kim vit sur les hauteurs
de Séoul, à proximité du cœur de la ville,
On l’appelle Maître Kim. Pour l’identifier au regard de son œuvre, d’aucuns
disent tout simplement « le peintre des gouttes d’eau ». Comme on dit de
Monet, l’un de ses artistes préférés, qu’il est « le peintre des nymphéas ». On ne
peut toutefois résumer ni l’un, ni l’autre à ces seules et uniques appellations.
Si Kim Tschang Yeul est l’auteur d’une œuvre tout entière axée autour d’une
préoccupation récurrente – celle des rapports entre le visible et l’invisible, le
micro et le macro, l’un et le nombre –, et que celle-ci prend essentiellement la
forme de tableaux volontiers de grand format, elle se décline aussi en volumes
cristallins d’une grande pureté.
PAR PHILIPPE PIGUET
où il continue de travailler tous les jours,
en compagnie de sa femme Martine, une
Française rencontrée au tout début de son
installation en France.
En hommage à l’artiste, la province de l’île
de Jeju, située au sud du pays, lui a pro-
posé de créer un musée à son propre nom,
financé par elle, pour lequel il a fait don de
quelque 220 œuvres. Situé en pleine nature,
il est inclus dans un charmant village que
les autorités insulaires ont choisi de trans-
former en un haut lieu artistique. Construit
par le studio italien ArchiPlan, créé par les
architectes Diego Cisi et Stefano Gorni
Silvestrini en 1997, le Kim Tschang Yeul
Art Museum est une magnifique bâtisse
d’une grande sobriété, à l’aspect minimal,
faite de béton teinté dans la masse, dont
la rigueur géométrique est accentuée par
le parti pris d’un espace refermé sur lui-
même avec de nombreuses perspectives
ouvertes sur l’extérieur. Les architectes
disent l’avoir conçu «pour être la manifes-
tation physique de la philosophie du peintre
concernant la goutte d’eau », considérant
que celle-ci existe à travers la lumière et
l’ombre, devenant par là même l’origine
et le vide de la lumière et de l’obscurité.
Aussi, ces derniers ont-ils imaginé – et par-
faitement réussi – un lieu « où la lumière
apparaît et disparaît sans cesse à travers
une frontière ambiguë».
Avec cette extrême simplicité qui le caracté-
rise, Kim lâche, le regard plein de reconnais-
sance : «Onm’a offert un temple. Cela vame
Décomposition.
1985, huile sur toile, 330 x 250 cm.
Collection Kim Tschang Yeul Museum, Jeju.