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Exposition
par Emmanuel Daydé
Florence – Portraits à la cour des Médicis
Musée Jacquemart-André, Paris
Du 11 septembre 2015 au 25 janvier 2016
Commissariat : Carlo Falciani et Nicolas Sainte Fare Garnot
L’art et lamanière
de Florence
La Renaissance finit-elle avec Raphaël et Michel-Ange après le sac de Rome ?
Non, car le maniérisme qui triomphe au XVI
e
siècle, d’abord à Florence puis dans
toute l’Europe, la dépasse et l’approfondit en pulvérisant ses formes et en lacé-
rant l’âme de ses figures. La quarantaine de portraits florentins maniéristes, où
le raffinement le dispute à l’inquiétude, rassemblés au musée Jacquemart-André,
exaltent le génie perdu de Rosso, Pontormo et Bronzino.
Se voir ou être vu : l’art du portrait se divise
selon ces deux qualités de regard, dans
un tête-à-tête éminemment physique, où
la dépendance du regardant (le peintre)
demeure soumise à la seule volonté du
regardé (le commanditaire). À Florence, au
XVI
e
siècle, dans la lutte à mort qui oppose
la puissante famille desMédicis aux derniers
défenseurs d’une République exsangue, la
violence des combats passe aussi par une
guerre des images. À la sobre mesure répu-
blicaine, qui veut montrer sans se montrer,
répond la magnificence démesurée du clan
Médicis, qui se sait et se veut regardé. Déjà en
1478, après la tentative d’assassinat menée
par les Pazzi sur sa personne, Laurent le
Magnifique avait déposé plusieurs effigies
en cire de lui-même en divers lieux straté-
giques de la cité toscane. En retour, après
avoir refusé l’absolution à Laurent sur son
lit de mort, le moine fou de Dieu Savonarole
avait imposé, lors de son éphémère répu-
blique théologique, entre 1495 et 1498,
des bûchers des vanités où l’on brûlait les
peintures séculaires et mythologiques. À
l’heure où Baldassare Castiglione définit les
bonnes manières dans ce
best seller
absolu
qu’est
Le Livre du Courtisan
, les Médicis, eux,
exaltent les bellesmanières et font de l’art de
se regarder un nouvel art de vivre à Florence.
Chassée de Florence par deux fois, en 1494
puis en 1527, par une République qui refuse
de porter le joug d’une tyrannie aristocra-
tique – mais qui ne sait plus à quel saint se
vouer, brûlant le lendemain ce qu’elle avait
adoré la veille –, la sainte famille Médicis y
effectue un spectaculaire retour en force,
pour ne plus jamais céder son emprise. De
ces temps troublés et de ce réel ébranlé
émerge une nouvelle esthétique, inquiète,
complexe et instable – le maniérisme –,
où l’exacerbation de la forme, l’étirement
des corps et le questionnement de la pers-
pective répondent à la révolution coper-
nicienne qui saisit le siècle entier. Peu de
temps avant sa mort en 1543, l’astronome
polonais Copernic fait parvenir au pape
Paul III Farnèse un exemplaire dédicacé
de son
De Revolutionibus orbium coelestium
(
Des Révolutions des sphères célestes
),
où il formule l’hypothèse d’un système
héliocentrique : la Terre ne serait plus au
centre de l’univers mais en mouvement