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Éditorial
L’être humain, toujours, a la nécessité de
créer des « objets magico-religieux » qui lui
permettent de surmonter son
double bind
constitutif : l’énigme d’être en vie et de se
savoir mortel. Toujours il s’agit d’unir le
visible et l’invisible, l’éphémère de la chair
et l’esprit qui perdure, l’être et les « puis-
sances » qui excèdent son entendement :
l’immémorial, les dieux, Dieu, le Cosmos ?
Quels que soient la civilisation et le système
de pensée dont ils proviennent, y compris
dans les sociétés dites archaïques (dont
trop longtemps la rationalité moderne
occidentale a cru qu’elles n’étaient qu’une
simple expression collective), c’est la
tâche de quelques individus de sonder les
abysses de la nuit de l’humanité, le non-su
des fins dernières de l’homme qui font sans
doute de nous des êtres doués de langage,
afin de donner forme au
symbolique
pour
eux-mêmes et pour autrui.
Certes, quiconque déclare détenir la Vérité –
la seule : l’unique – est potentiellement
susceptible de nous l’imposer et d’exclure
tous ceux qui en doutent. Les fanatismes (et
les totalitarismes que l’on doit considérer
comme des religions séculières) sont nés de
la confusion entre le réel et le symbolique :
à l’encontre de l’esprit bénéfique du sacré
(la croyance que nous ne sommes pas irré-
médiablement condamnés à la mort, que la
« Vie » est la plus forte), ils utilisent celui-ci
comme une arme maléfique. Les dogmes
mal interprétés ont semé la terreur, ils la
sèment encore. Ils discréditent d’autant
notre dimension spirituelle. Néanmoins,
même s’il est indispensable de lutter contre
tous les fanatismes, il est vain de supposer
que l’homme ne cherche pas à surmonter sa
dualité ontologique en créant ce qui perdure.
Dans l’histoirede l’art, desœuvresont sucréer
une image sublime conforme à la croyance
de leur époque (pour prendre quelques
exemples : leQuattrocento et le catholicisme,
Rembrandt et leprotestantisme,Michel-Ange,
le Greco, la Contre-Réforme, Philippe de
Champaigne, le jansénisme, etc.), desœuvres
d’art ont illustré à leur manière les dogmes
dont elles sont issues mais nous requièrent
encore de nos jours parce que – au-delà du
messagequ’ellessont censées illustrer–elles
captent l’unité « paradisiaque » de la réconci-
liation entre le corps, l’intellect et l’âme dont
rêve tout un chacun.
Bien que héritière des Lumières, de la sépa-
ration judicieuse entre le public et le privé,
le politique et le religieux, la Modernité
n’est pas en reste : l’une de ses inventi-
vités les plus fertiles s’incarne dans des
œuvres majeures empreintes de spirituel :
de Malevitch et Kandinsky à Matisse et
Giacometti, de Klein et Hantaï à Rothko et
aux minimalistes new-yorkais, de Bill Viola
et Lee Ufan à Anish Kapoor et Yazid Oulab,
le « sacré » perpétue sa quête inlassable de
l’universel humain.
Pascal Amel
De la représentationdu sacré