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artabsolument
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no 6 • automne 2003 page
19
Note d’atelier
Cinq artistes et l’ailleurs
“Jehais les voyages et les explorateurs.” La formuleest lapidaire. Elle tombe sous laplumedeClaudeLévi-Strauss dès les
premiersmots de ses
Tristes Tropiques
commeunedéclaration sans retour. Parcequ’il rêvait d’une vied’extase, de calme
et d’art”, comme il l’écrivit à sa femme Mette, Paul Gauguin s’en fut en exil à Tahiti en 1891. Pour lui, tout au contraire, il
n’est là-basaucune tristesse.Mieux, il envisaged’ycréerun“atelierduTropique”, espérant convaincrequelquescollègues
à le suivre, mais en vain. Les raisons qui animent le peintre ne sont pas fondamentalement neuves, impatient qu’il est à se
trouver “loin de cette lutte européenne après l’argent” afin de pouvoir à sa guise “écouter la doucemusiquemurmurante
desmouvements demon cœur en harmonie amoureuse avec les êtresmystérieux demon entourage”.
Laquestionde l’ailleursappréhendéeauregarddumondede l’art contemporainsemblebienseposerde touteautre façon.
Il n’est pas questiond’exil. Comment cela pourrait-il être à une époque où traverser les océans n’est plus qu’une affaire de
quelques heures et où la puissance desmédias diffuse les nouvelles dumonde d’un bout à l’autre de la planète à la vitesse
de la lumière? La question de l’ailleurs n’est pas synonyme de déracinement; elle a peut-être même à voir avec celle de
l’envied’unenracinement. Dumoinsde lanécessitéd’unepenséeet d’unmoded’être ressentiepar ceuxqui quêtent après
quelque chose d’autre qui ne leur est pas culturellement familier. De tout temps, l’homme a cherché à dépasser les fron-
tières de son territoire, curieux de savoir ce qu’il y avait au-delà.
Là-bas
, comme l’a intitulé Huysmans.
Les artistes contemporains sont nombreux dont l’intérêt excentrique s’est posé sur une culture autre. Ne serait-ce que
pourmieux comprendre– voiredévelopper – la leur propre. À l’adressedecinqd’entreeuxqui ont fait aucoursde leur exis-
tence une expérience semblable – aborigène pour l’un (Klaus Rinke), indienne pour l’autre (Tania Mouraud), extrême-
orientale pour celui-ci (Mark Brusse), inuit pour celui-là (François Bouillon), africaine enfin pour cet autre (Christian
Lapie) –, nous avons soumis un bref questionnaire afin qu’ils nous disent comment ils l’avaient vécue. Comment cela avait
agi sur eux et leur travail. Leurs réponses valent surtout pour l’éclairage qu’elles nous procurent, au regard tant d’un art
contemporaindont onnesait pas toujoursdequoi il senourrit, quede l’exempledeGauguinretenupourdes raisonsdavan-
tage plastiques que proprement philosophiques. Je veux dire de cette sagesse qui le décida à l’exil. L’ailleurs aujourd’hui
est autre. Il relève d’une démarche tout à la fois sensible et mentale qui soit l’occasion d’aller à la rencontre d’une altérité
et d’une différence. Unemanière de contrepoint au trop autoritaire “ici et maintenant”, si avide d’immédiat.
Philippe Piguet.
1 – À l’instar de Gauguin en quête d’ailleurs, vous avez eu, au
cours de votre vie, l’occasion d’aller à la rencontre d’une autre
culture que la vôtre. De quelles façons celle-ci a transformé,
voire orienté votre regard sur le monde ? Quelle sorte d’in-
fluence a-t-elle opéré sur votre travail ?
2 – Quel genre de rapport avez-vous entretenu dans le temps
et dans l’espace avec cette culture ?
3 – Sur un plan purement plastique, qu’est-
ce que cet “ailleurs” vous a apporté que votre
propre culture ne pouvait vous offrir ?
4 – Quel regard portez-vous sur la démarche
de Gauguin ? En quoi fait-elle intrinsèque-
ment partie de son mythe ?
Éloge de l’altérité
Présenté par Philippe Piguet