été 2006 • no 17 • spécial made in france
(
artabsolument
)
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d’aujourd’hui pour que celui-ci soit enfin visible sur
notre territoire. Ce qui, bien entendu, est un acquis
extraordinaire bien que, comme cela est inévitable-
ment le cas quant un art dépend par trop du Prince
(ou de l’État), la tentation est grande pour ce dernier
de favoriser certains artistes – ou une esthétique – au
détriment d’autres ; qu’il privilégie hier, l’abstrait ;
dans les années Lang, la Figuration Libre ; celles de
Jospin, l’art social ; aujourd’hui, le jeunisme ? Paris
(la France) comme nouvelle “plaque tournante” de
l’art ? Bref, la tentation est grande pour l’Institution de
promouvoir le discours esthétique qui lui chaut : d’au-
tant qu’il y aura toujours des artistes “mi courtisansmi
stratèges” pour adopter le discours que celle-ci désire
entendre – pour lui tendre le miroir flatteur de sa
propre suprématie (ce qui n’empêche pas certains de
ces mêmes artistes d’avoir
du talent, mais quid des
autres ?). Cela dit, répétons
que l’existence d’un réseau
d’infrastructures consa-
crées à l’art d’aujourd’hui en
France est une chance. De
toute évidence, cela permet
une meilleure visibilité de ce
qui se crée, même si, pour
notre part, nous nous éton-
nons que la politique systématique d’expositions, d’ac-
quisitions et de commandes publiques d’artistes
principalement issus des trois ou quatre nations occi-
dentales qui font et défont le marché de l’art ne soit
suivie d’aucune réciproque, ce qui prouve certes que
nous sommes des esprits curieux et généreux – ce qui
est sympathique – , mais dénués de tout pragmatisme
car donner sans contrepartie est évidemment un non-
sens dans n’importe quel système symbolique ; or,
l’art est un système à haute teneur symbolique (à ce
sujet nous avons écrit dans un précédent numéro que
nous souhaitions qu’une
parité
d’expositions et d’ac-
quisitions existât entre les artistes vivant en France et
ceux des autres pays : cela nous paraît correspondre à
une réalité historique et à un minimum de garantie
quant à la promotion nécessaire de l’art hexagonal).
Aujourd’hui le Ministère de la Culture crée une trien-
nale de l’art contemporain au Grand Palais afin que le
public ait une vision conséquente de ce que créent ici
et maintenant les artistes en France (qu’ils en soient
originaires ou non). Dont acte. Souhaitons que cette
exposition ne soit pas exclusivement à l’aune de l’es-
thétique “déceptive” – l’insignifiant ; le dérisoire ; le
cynique ; le divertissement plat – que l’on voit trop
souvent porter aux nues, mais, bien au contraire, la
mise en valeur de la diversité des pratiques artis-
tiques auxquelles se confrontent les créateurs d’au-
jourd’hui. Pour nous, face au risque de l’art officiel –
la mode, l’air du temps – il y a nécessité d’une
com-
plémentarité de points de vue
. Celle qu’engendre la
pluralité des partis pris esthétiques des commis-
saires d’expositions que l’on souhaite aussi exigeants
que singuliers ; celle des fondations privées et des
galeries, qui ont un rôle crucial à jouer et parfois le
jouent fort bien ; des collectionneurs, dont on connaît
l’importance pour l’histoire du goût (sans donations
pas de musées) ; des artistes eux-mêmes, qui, n’en
doutons pas, savent faire la part entre une œuvre
substantielle et l’écume du jour ; et, the last but not
least, du public, tout du moins celui qui se sent
concerné (sans les cinéphiles comment imaginer que
Cassavetes, Tarkovski, Kariostami ou Wong Kar-Wai
aient pu se faire reconnaître ? sans les passionnés de
littérature, Claude Simon, Francis Ponge, Claude-
Louis Combet ou Pierre Michon ?) : notons – à ce
sujet – que l’exposition d’art contemporain la plus
visitée et la plus appréciée en 2005 fut
Africa Remix
au Centre Georges-Pompidou !
Depuis mai 2002, date de la création de notre revue
indépendante – c’est-à-dire libre – , nous n’avons
cessé de mettre en exergue l’œuvre des artistes
vivant en France et ce quels que soient leur généra-
«Pournous, faceaurisquede l’art officiel –
la mode, l’air du temps – il y a nécessité
d’une
complémentarité
de points de vue.
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