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artabsolument
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no 17 • spécial made in france • été 2006
Il n'y a pas d'art français mais il y a des artistes en France
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Éditorial
par Pascal Amel
(comme n’importe quel autre secteur de l’économie)
ne cesse de privilégier la visibilité immédiate – la
marque – à la complexité de l’œuvre, la carte sim-
pliste d’un art réduit à quelques traits nationaux
apparaît à nombre d’entre nous trop réductrice pour
être intellectuellement satisfaisante (compte tenu de
notre histoire, de la diversité des artistes venus d’ho-
rizons lointains, de la multiplicité des pratiques et
des esthétiques qui ont cours dans notre pays, on
peut faire le constat qu’
il n’y a pas d’art français mais
des artistes en France
).
D’aucuns prétendent que s’il n’y a pas d’art français
c’est que nous sommes incapables de le promouvoir.
C’est plus complexe que cela. Passons sur les sempi-
ternels envieux qui, faute d’être eux-mêmes des
artistes (confondant le statut social du créateur – sa
reconnaissance médiatique – avec ce qui demeure
une nécessité intérieure), nous ressassent année
après année qu’il n’y a pas d’artistes français dignes
de ce nom : cette hypothèse est tellement démentie
par la réalité des œuvres qu’il nous a été donné de
voir dans maintes expositions et quelques ateliers
d’artistes, que nous n’insisterons pas sur ce point.
Laissons également de côté les inévitables groupies
adorer les superstars du jour – c’est si banalement
“humain”. Par contre, admettons que, longtemps,
trop longtemps, la France s’est désintéressée de ses
propres créateurs. Car, ne nous y trompons pas,
jusque dans les années 60, non seulement la plupart
des artistes de notre pays ont survécu le plus souvent
grâce à des collectionneurs étrangers mais leur visi-
bilité publique fut très partielle, à l’aune de la cécité
étrange qui semblait frapper les individus et les insti-
tutions en ce qui concerne l’art produit pourtant à
deux pas de chez eux. Il y eut – certes – l’exception
Malraux, difficile de ne pas l’admettre. Mais il fallait
davantage : attendre la fin des années 70 pour que
Georges Pompidou, sensible aux novations esthé-
tiques de son époque, décidât d’édifier le lieu résolu-
ment consacré à l’art moderne et contemporain qui
porte son nom; les années Lang pour que la France
créât les FRAC et la plupart des centres d’art qui
innervent aujourd’hui les régions. Il fallait que l’État,
renouant avec la tradition héritée du mécénat royal,
privilégiât une politique culturelle en faveur de l’art
On sait que, durant des décennies, du XVII
e
siècle à la
seconde guerre mondiale, le rayonnement de l’art
venu de France fut considérable. On sait également
que, dès l’Impressionnisme (Sisley, Van Gogh…), et
pour ce qui concerne l’art moderne (Picasso,
Kandinsky, Brancusi, Man Ray…), ce furent autant les
artistes étrangers qui y séjournèrent que les artistes
nés sur son sol qui s’en firent les émissaires, la for-
tune critique de leurs œuvres franchissant conjointe-
ment les frontières de l’Hexagone. On sait aussi que,
à cause de l’absence de soutien des politiques et des
collectionneurs français de cette période et par une
nouvelle donne des puissances occidentales après la
Libération, les États-Unis, et en particulier New York,
ont supplanté le leadership de la “représentation
mondiale” de l’art en apportant leur soutien à la talen-
tueuse génération des Expressionnistes Abstraits (De
Kooning, Pollock, Motherwell, Rothko…), puis à
celles du Pop Art, du Minimalisme et de l’art
Conceptuel tout en déniant l’importance considé-
rable de Paris et des influences esthétiques issues de
l’Europe (Russie y comprise) : songeons, entre
autres, à l’apport essentiel de Matta et de Masson sur
les premiers pas de l’Expressionnisme Abstrait, des
Suprématistes russes sur le Minimalisme, du Pop Art
anglais sur le New-yorkais… L’art américain s’est
délibérément constitué en tant que tel et son succès
fut suffisamment probant pour, dès la fin des années
70, contraindre ceux qui désiraient exister sur la
scène internationale à se constituer, eux aussi, en
tant qu’expression strictement nationale : d’où
l’émergence des artistes
allemands
, des sculpteurs
anglais,
des
italiens
de l’Arte Povera
,
de la jeune
génération des
espagnols,
etc.
La France, à tort ou à raison, n’a jamais joué cette
carte. D’une part il semble qu’il n’y ait pas à propre-
ment parler d’art français – l’on voit bien que, même
si l’on admet un tropisme pour la clarté, la mesure, la
fameuse “rationalité française”, trop de contre-
exemples nous viennent à l’esprit (Delacroix, Gauguin,
Monet, Breton et la plupart des Surréalistes,
Dubuffet, Klein sont de toute évidence des artistes
épris de
l’expérience des limites
– l’ailleurs, l’irra-
tionnel, l’absolu). D’autre part, soyons quelquefois
immodestes, quand bien même le marché de l’art
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