ArtAbsHS-61Artistes - page 8

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et aux États-Unis, je peux dire que l’importance des
études est très relative. Étant donné que l’art n’existe
pas que dans le prolongement d’un cri, d’un sourire,
d’une plainte, c’est à chacun de faire ses choix, de
trouver son langage…
En arrivant en France, vous rencontrez Picasso, Max
Ernst, Chagall. Vous exposez auprès de quelques
uns des plus grands noms de la modernité…
Je suis arrivé en 1959 à Nice, pour rejoindre Jacqueline,
ma future épouse. J’ai pu obtenir l’asile politique en
France grâce à un soldat français entré dans l’admi-
nistration. Il se trouvait qu’il avait combattu avec
mon père à la frontière belge en 1939. À Nice, je me
suis retrouvé dans un monde très différent de ce que
je vivais jusqu’à présent. Je rêvais de venir en France.
Je rêvais de Paris, je pensais qu’il n’y avait que là. Or
j’ai commencé à travailler à Nice à partir des années
1960. Un jour, je présente une dizaine de tableaux
dans une galerie : chance exceptionnelle, elleme pro-
pose d’exposer mon travail avec un contrat de trois
ans et me laisse entièrement libre dans ma création.
À cette époque, l’École de Nice prenait toute la place.
D’ailleurs, à Paris aussi, on m’a toujours dit que la
figuration était terminée. Je suis néanmoins resté
fidèle àmon ambition. Chaque année, à Nice, il y avait
le Salon de la «Jeune peinture méditerranéenne» sur
la Promenade des Anglais. En 1962, ma première toile
a été refusée ; l’année suivante, j’ai obtenu le grand
prix. Et puis dans le sud, il y avait à l’époque Picasso,
Chagall, Matisse, Dubuffet, Hartung, Fernand Léger…
Dans les années 1970, j’ai exposé avec eux, surtout
avec Chagall, Ernst et Picasso. Ils étaient alors rela-
tivement présents dans la région, c’était facile de
les contacter. Évènement exceptionnel, la Fondation
Maeght a ouvert ses portes à ce moment, invitant
tous ces artistes. Là, je passais beaucoup de temps
avec Miró et Tàpies, j’ai rencontré Rebeyrolle, Calder
et Chillida. Dans ces années, la région de Nice était
le seul endroit qui pouvait rivaliser avec Paris, grâce
à la présence de ces hommes qui y travaillaient. Je
pensais m’y refaire mes racines plus facilement, un
peu effrayé par ce monde de compétition de Paris,
par la peinture abstraite omniprésente alors que mes
thèmes étaient toujours marqués par l’exil ou la dif-
ficulté de l’homme à trouver un équilibre juste, sans
être brutalisé par telle au telle autre philosophie. J’ai
été plusieurs fois sur le point d’abandonner. Le travail
de Picasso m’a redonné le courage de continuer, de
peindre ce que j’avais envie de peindre, d’observer
l’homme dans sa difficulté d’exister.
Votre introduction dans lemilieu artistique parisien
revient entre autres au critique Pierre Gaudibert,
qui entend vous permettre d’exposer au Musée
National de la Ville de Paris. Le projet n’aboutit pas,
mais il vous aide tout de même à présenter votre
travail à Galliera…
En 1968, le dernier jour d’une de mes expositions à
Paris, Pierre Gaudibert, alors directeur de l’ARC, entre
dans la galerie Zunini. Il manifeste un réel intérêt pour
mon travail. À Paris, je l’ai revu trois ou quatre fois. Il
me propose d’exposer enmars 1972 auMusée National
de la Ville de Paris. J’ai donc travaillé sans relâche.
Malheureusement, il avait alors des difficultés, on
lui reprochait sa position politique trop à gauche.
Avant d’être remercié, il est venu me voir à Vence,
pour m’annoncer son départ prochain et me propo-
ser d’essayer quand même de présenter mon travail.
J’ai fait la bêtise de ne pas le croire, je ne pouvais
concevoir qu’on remercie un homme de cette qualité.
C’était le type de directeur qui allait voir des travaux
/
AVANT-PROPOS
/
Franta.
Petite femme assise
. 1988, H. 33 cm.
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