ArtAbsHS-61Artistes - page 7

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EMMA NOYANT
Pouvez-vous évoquer vos premiers pas
dans l’art?
FRANTA
J’ai aujourd’hui 89 ans. La première trentaine
s’est déroulée en Tchécoslovaquie. C’est le tiers de ma
vie le plus difficile parce qu’il y avait la guerre, qui
nous a surpris quand j’avais une dizaine d’années.
Elle a tout chamboulé. Aumoment où Hitler a envahi la
Tchécoslovaquie, mon père est parti, s’est engagé en
France puis en Angleterre, pour combattre le régime
nazi. Nous sommes restés en Tchécoslovaquie, ma
mère, mon frère et moi, avec la Gestapo dans les
pattes en permanence. Une fois la guerre terminée
en 1945, j’avais alors 15 ans, il m’a fallu prendre une
décision : quoi faire demes rêves? J’ai eu des difficul-
tés à imposer àmes parents ma volonté de peindre. Je
souhaitais travailler dans l’illustration, la publicité ou
la restauration. Après la guerre, il y avait un certain
nombre d’édifices et de peintures qui avaient besoin
d’être restaurés. C’est comme ça que j’ai persuadé
mes parents. Jeme souviens dema première rencontre
artistique importante, avec un professeur peintre
exceptionnel, Aloïs Toufar. Cet homme a été arrêté par
la Gestapo. Dans les camps de concentration où il est
resté trois, quatre ans, il a travaillé avec des enfants.
Ils ont fait un travail absolument exceptionnel, pour
les faire parler du monde qui était autour d’eux, les
faire réagir face à ce monde qui les enfermait. Une
fois la guerre terminée, il y a eu une exposition qui a
tourné en Europe, Bulgarie, Tchécoslovaquie.
Quelle est votre formation? Pensez-vous qu’il faille
nécessairement passer par une école pour devenir
artiste?
À 18 ans, je me suis inscrit pour 4 ans à l’École des
Arts Décoratifs de Brno. Par la suite, j’ai étudié 5 ans
à l’Académie des Beaux-Arts de Prague. Soit 9 ans
de scolarité artistique sous un régime irrespirable
qui nous a volé l’élargissement de notre regard.
Dans les bibliothèques, tout avait disparu à partir
des impressionnistes, et je trouvais mes compatriotes
très obéissants… On travaillait chez soi en cachette,
et l’on ne montrait ce que l’on faisait qu’à des amis
très sûrs. D’un point de vue créatif, zéro. En revanche,
j’ai appris toutes les techniques : fresque, gravure,
mosaïque et restauration. Une fois mes études aux
Beaux-Arts achevées, ayant obtenu le premier prix
de peinture, j’ai pu continuer mes études artistiques
à Perugia. Financement impossible selon le ministère
de la Culture ! Grâce à un proche ami tchèque de
mon père, j’ai obtenu l’autorisation d’aller étudier
en Italie. Ce fut pour moi la découverte d’un monde
infiniment plus riche. C’est là que j’ai découvert les
grands : Michel-Ange, Léonard de Vinci… J’avais
jusqu’alors seulement la possibilité de les connaître
dans les livres. C’est aussi à Perugia que j’ai rencontré
une étudiante française qui est devenue la femme de
ma vie : Jacqueline. Aujourd’hui, après avoir connu
les écoles des Beaux-Arts en France, en Allemagne
/
AVANT-PROPOS
/
FRANTA,
TRAJECTOIRE
ENTRETIEN AVEC EMMA NOYANT
FAUT-IL ENCORE PRÉSENTER FRANTA ? DANS SES FIGURES
PEINTES EN PROIE À LA SOUFFRANCE DUMONDE, COMME PRISES
AU PIÈGE DANS DES COULEURS VIVES ET DONT LES VISAGES SONT
ANONYMES, L’ÊTRE EST NIÉ JUSQUE DANS CE QUI LE DISTINGUE.
«C’EST LAFRAGILITÉDE L’HOMMEQUI MEHANTE, ET SADIFFICULTÉ
ÀPRENDRE ENCHARGE SONDESTINPARRAPPORT À SES RÊVES. »
L’ARTISTE FRANÇAIS D’ORIGINE TCHÈQUE REVIENT ICI SUR SON
PARCOURS, DE SON EXPÉRIENCE DE L’EXIL À SA CONSÉCRATION
EN FRANCE. IL RACONTE SES RENCONTRES ET PREMIÈRES EXPO-
SITIONS. IL REND COMPTE DE LA NÉCESSITÉ « DE SAVOIR OÙ IL
FAUT INSISTER, OÙ ÇA VAUT LE COUP DE S’ACCROCHER, ET À QUI
S’ADRESSER. »
Franta.
Fukushima
. 2012, acrylique sur toile, 206 x 148 cm.
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