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DE WENZEL HABLIK
D’autant qu’Hablik n’a rien du soldat inconnu.
Alors qu’il fréquente Boccioni et Schmidt-
Rottluff avant la Première Guerre mondiale,
Herwarth Walden l’expose dans sa fameuse
galerie Der Sturm, aux côtés de Picasso,
Gauguin, Kandinsky, Gris et Kokoschka.
Walter Gropius l’inclutmême dans son expo-
sition consacrée aux«architectes inconnus»
et l’urbaniste, adepte des cités-jardins, Bruno
Taut l’accueille au sein de
Gläserne Kette
(«La chaîne de verre »), groupe d’artistes
qui appellent à l’avènement d’une nouvelle
civilisation plus en harmonie avec le cosmos.
S’il est peut-être une découverte absolue de l’exposition
Au-delà des étoiles
du
musée d’Orsay, c’est bien le TchèqueWenzel Hablik, avec seulement deux toiles,
Le Château de cristal enmer
, qui date de 1914, et
Nuit étoilée
, qui remonte à 1909.
Face à ces deux visions de jardins cosmiques, on se demande vraiment comment
on a pu oublier un tel artiste…
PAR EMMANUEL DAYDÉ
En 1995, la ville d’Itzehoe dans le Schleswig-
Holstein, où l’artiste a passé la moitié de sa
vie, lui a ouvert un musée, qui conserve pas
moins de 200 peintures, meubles, objets et
cristaux, ainsi que 8 000 gravures et de nom-
breux textiles. Alors pourquoi un tel silence
autour de sonœuvre? Parce qu’Hablik a eu le
tort d’être un génie polymorphe. Contraint de
travailler dès l’âge de 12 ans dans l’atelier de
sonpère,menuisier àBrüx (aujourd’hui Most)
en Bohême, le petit Wenzel a appris à tailler
le bois avant de tailler la nuit. Ébéniste donc
avant que d’être peintre et graveur, il s’est
surtout fait connaître de son vivant, suite à sa
rencontre avec le marchand de bois Richard
Biel, en tant que designer d’intérieurs ultra-
colorés et comme réfractés au cœur d’un
cristal, créateur de bijoux, de papiers peints
et de meubles entre expressionnisme et
constructivisme. Ce sont les représenta-
tions de temples, de villes volantes et de
gouffres de cristal de cet architecte utopique,
dignes des «châteaux dans le ciel » à venir
de Miyazaki, que l’on a retenu. Inspiré par
le vol des frères Wright, Hablik avait projeté
dès 1908 de construire des Arches de Noé
du futur : «Aujourd’hui, j’ai fait un rêve qui
s’étendait sur une période de 12 ans, écrit-il.
Je faisais construire une colonie volante!»
Longtemps artiste errant, de Teplice à
Vienne et à Prague, avant de s’installer à
Itzehoe tout au nord de l’Allemagne, Hablik
voulait devenir « le héraut d’une nouvelle
vie, susceptible de trouver de nouveaux
soleils, de nouvelles lunes et de nouvelles
étoiles ». Son combat contre « tout ce qui
est négatif et corrompu» connaît une véri-
table révélation lors de son ascension du
mont Blanc, à l’âge de 25 ans. Bouleversé
Wenzel Hablik.
Le Château de cristal en mer.
1914, huile sur toile, 200 × 161 cm.
Národní galerie, Prague.
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