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L’œil de...
Yvon Lambert,
«une rêverie émanéedemes loisirs»
Entretien avec Philippe Piguet
La nouvelle a surpris tout le monde. Au début de l’été, Yvon Lambert a fait savoir
qu’il avait décidé de fermer sa galerie. Originaire de Vence, il l’avait créée en
1966 à Paris pour en faire l’une des enseignes les plus importantes et les plus
prospectives de la scène artistique internationale. La donation de sa collection
et son installation à Avignon en disent long sur l’exemplarité d’un parcours pro-
fessionnel doublé d’une qualité sensible dans son rapport à l’art et aux artistes.
Mais si l’image d’Yvon Lambert est celle d’un grand marchand, elle est aussi celle,
moins connue, d’un passionné de livre, d’édition et de bibliophilie. Au moment où
il a décidé de « simplement tourner une page », comme il dit ici, il a bien voulu une
nouvelle fois échanger avec nous, notamment sur l’objet de cette passion. Une
façon de lui rendre hommage pour ce que, personnellement, nous lui devons de
nous avoir appris et invité à partager de ce monde fabuleux qu’est celui de l’art.
Philippe Piguet
|
Voilà donc une cinquantaine
d’années que vous exercez le métier de
galeriste. Qu’est-ce qui, pour vous, a fon-
damentalement changé au cours de ce
demi-siècle?
YvonLambert
|
Ce qui a changé pour moi comme
pour tous ceux qui sont de ma génération,
c’est la façon dont se fait le métier. Cela n’a
plus rien à voir aujourd’hui avec ce qu’il était
il y a seulement une vingtaine d’années. Il
y avait alors un vrai contact avec les col-
lectionneurs, les critiques, les institution-
nels, tous les professionnels de l’art. Cela
n’existe plus aujourd’hui. J’aimais beaucoup
le côté «salon» qu’il pouvait y avoir dans une
galerie, du moins dans la mienne. Les gens
venaient, prenaient leur temps, se posaient,
discutaient. Nous avions de vrais échanges.
Les artistes eux-mêmes ont changé, en tous
cas les plus jeunes. Ils sont habitués à avoir
plus de facilités, plus d’argent aussi. Jadis le
marché était moins facile mais cela rendait
les choses plus humaines.
PP
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À quel moment pensez-vous que les
choses ont basculé ? Y a-t-il un signe par-
ticulier qui marque ce moment-là?
YL
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Cela est arrivé petit à petit depuis la
fin des années 1990. Le marché a pris
vraiment une vitesse qui n’était pas la
sienne. Toutes les formes de presse se
sont emparées de la situation et ont com-
mencé à parler d’art et d’artistes, aussi
l’art contemporain est devenu un sujet
banal, abordé dans tous les milieux…
PP
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Cela a été une bonne chose, non? C’est
difficile de le regretter.
YL
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Bien sûr, mais les choses se sont vite
emballées et il en résulte une grande
confusion. Je ne regrette évidemment
pas les années difficiles que j’ai connues
quand j’ai commencé mais le changement
est qualitativement considérable, voire
troublant.
PP
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Vous avez d’ailleurs traversé des
périodes artistiques très différentes : les
avant-gardes minimales et conceptuelles,
le land art, puis le retour à la peinture, la
photo, la vidéo, etc. Comment avez-vous
vécu de telles transformations ?
YL
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Pour ma part, j’ai toujours été intéressé
par toutes les formes d’expression et ce
depuis le début. Si j’ai très tôt montré de
la vidéo, de la photo, des artistes comme
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