101
Artistes
Entretien à voix séparées
entre les artistes et Philippe Piguet
lamémoire et le temps
Anne et Patrick Poirier,
Cet été, dans le cadre du
Voyage à Nantes
, Anne et Patrick Poirier invitaient le promeneur
à la découverte d’une forme de « musée nomade », réparti en cinq points de la capitale des
Pays de la Loire. Intitulée
Curiositas
, leur quintuple intervention était fondée sur la mise en
valeur d’objets, d’art ou non, extraits des réserves de divers musées nantais. Une façon pour
les deux artistes de composer avec la mémoire d’un site familier – Patrick Poirier y est né et
y a grandi – et, dans le même temps, de l’amplifier à la dimension d’une pensée universelle.
La démarche des Poirier est exemplaire d’un être au monde qui puise ses racines dans une
réflexion sur ce qui lie entre elles civilisations et cultures visant à conjuguer humanisme et
postmodernisme. Une pensée construite, une façon inédite d’occuper l’espace, l’art des Poirier
est requis par la mémoire et le temps.
Philippe Piguet
|
Voilà près de 50 ans que vous
avez décidé de travailler ensemble et de
faire une œuvre à quatre mains. Qu’est-ce
qui a rendu possible une telle aventure?
Anne Poirier
|
Nous nous sommes rencontrés
pendant nos études à l’Ecole nationale
supérieure des arts décoratifs, au début
des années 1960. Très vite, nous nous
sommes aperçus que nous partagions
beaucoup de choses. Ni moi, ni Patrick ne
voulions être ce qu’on appelait alors «déco-
rateurs». Nous voulions être artistes. Pour
ma part, l’enseignement de l’école m’en-
nuyait et, dès la deuxième année, je renon-
çai à passer mon diplôme pour intégrer un
atelier de sculpture et de gravure. Patrick,
de son côté, était entré dans un atelier de
peinture et nous avons bientôt commencé,
chacun dans sa discipline, à travailler sur
les mêmes thèmes. Puis nous avons pré-
senté la Villa Médicis et sommes partis à
Rome. Là, nous avons exploré ensemble
toute l’Italie et entrepris aussi des voyages
en Asie qui nous ont confirmés dans nos
idées et nos intérêts communs. Nous
avons alors décidé de travailler vraiment
ensemble et de signer à quatre mains.
Patrick Poirier
|
Nous avons décidé très natu-
rellement de travailler à deux dès notre
rencontre sur un banc du Louvre, en 1965,
devant
Et in arcadia ego
de Nicolas Poussin.
Nous écoutions alors beaucoup de musique
rock et étions très liés à des architectes
et designers. À l’instar des groupes rock
ainsi que des architectes qui travaillaient à
plusieurs, nous avons choisi d’un commun
accord de ne pas rester sur notre ego indi-
viduel et de rechercher une autre manière
d’aborder une pratique que nous voulions
liée aux sciences humaines : archéologie,
anthropologie, histoire de l’art, histoire de
l’architecture, psychologie, etc.
PPi
|
Comment vous êtes-vous réparti les
tâches ?
APo
|
Nous ne nous répartissons pas les
tâches. Notre travail est à la fois un voyage
et une recherche. Nous avons une grande
liberté dans cette recherche l’un par rap-
port à l’autre et par rapport aux démarches
et aux techniques employées. C’est un per-
pétuel échange qui finit par se concrétiser
en une œuvre unique dont il nous est dif-
ficile de retracer la genèse exacte. C’est
1...,15,16,17,18,19,20,21,22,23,24 26,27,28